Il nous semble logique qu’une femme qui se sent impuissante et même « néfaste » à l’égard de son enfant, réagisse à cet état : tristesse, accablement et abattement ne vont pas manquer de se manifester. Il y a donc bien souvent de la dépression chez ces mères en difficulté et la constater au cours d’un examen médical relève ni plus ni moins d’un simple et banal état des lieux après une inondation.
Ce qu’il faut absolument retenir sur la dépression post-partum :
Certains témoignages font état de guérison subite, presque « miraculeuse » de leur dépression, évoquant un fait ou un évènement qui subitement les a rendues mères : la reprise du travail, les sourires ou babillements de leur enfant, une ressemblance physique, quelque chose dans le développement de leur bébé… qui est venu les confirmer dans leur maternité, les rassurer sur leurs compétences.
Ces revirements subits existent, mais sont rares, bien souvent une dépression non prise en compte s’enkyste durablement ou peut se déplacer sur le bébé qui tombera progressivement malade ou qui deviendra l’objet du ressentiment et de la déception maternels.
Cette dépression particulière n’est pas toujours évidente à reconnaître et à faire reconnaître. Elle a longtemps été minimisée par le corps médical et, les femmes qui en ignoraient tout, se taisaient par honte de ne pas correspondre au standard classique de la maternité bienheureuse. La seule prise de conscience de leur problème était et est encore aujourd’hui, d’ordre moral : « Je suis une mauvaise mère ».
La dépression du post-partum n’est d’ailleurs pas reconnue à l’heure actuelle comme une entité singulière, à part des autres types de dépressions. Il n’existe pas de classification internationale bien qu’elle diffère par certains aspects, des formes classiques de cette pathologie :
Du coup, la mère peut se raccrocher à certains instants de plaisir et méconnaître son trouble ou le nier, tout comme son entourage. C’est sans doute la présence du bébé qui l’incite à ne rien laisser transparaître de son mal-être et la pousse à se dépasser sans tenir compte de ses propres souffrances.
La maman peut présenter :
Il est aussi possible que la mère :
Autour du bébé, la maman peut :
Le diagnostic de dépression, qu’elle soit qualifiée de majeure ou de mineure, n’apporte en lui-même aucune explication clinique quant à la nature des bouleversements observés.
Considérer la dépression comme une entité clinique alors que c’est juste une conséquence d’un état d’effondrement qui a eu lieu en préalable n’est pas émettre un diagnostic étiologique. C’est-à-dire ne permet pas d’identifier la cause de l’affection, et les conduites thérapeutiques qui en découleront seront tout aussi limitées.
Les médicaments pour la dépression ne rétabliront qu’une communication logique à défaut d’une communication plus affective, mais cette relation risquera de rester longtemps vide de sens. Leurs effets secondaires ne sont pas non plus négligeables : dans certains cas, ils entraînent un effet « steel face » chez la mère, c’est-à-dire que son visage sera figé. Or c’est dans le dialogue avec le visage maternel que le bébé peut essentiellement lire l’attachement qu’il génère chez sa mère et la confirmation de sa possibilité.
On fait ainsi, sous couvert d’un diagnostic de dépression du post-partum, l’économie de beaucoup de réflexions et de questions qui pourtant devraient couler de source chez le thérapeute et constituer un préalable à toute véritable prise en charge.
N’oublions pas non plus que sous ce diagnostic de dépression s’opère aussi un phénomène d’identification de l’observateur et/ou du thérapeute au bébé et à ses besoins. Il s’agit pour celui qui en est témoin de tenter de « réanimer » cette mère aux prises avec des sentiments mortifères, quitte à plaquer sur celle-ci un début d’explication qui rendrait compréhensible et sans doute acceptable sur un plan moral, ses défaillances vis-à-vis de son nouveau-né.
La dépression est une notion pragmatique qui banalise et inscrit la difficulté maternelle dans un registre très général qui en occulte toute la singularité et la complexité.
Comme nous l’avons déjà vu, il ne s’agit pas de qualifier une simple difficulté d’exister temporaire, et d’y remédier avec quelques médicaments et paroles d’encouragement, mais bien d’accompagner sur le long terme une mère dans une transition identitaire délicate et de lui permettre d’assurer la naissance psychique de son enfant.
Réduire cette difficulté à son versant dépressif comporte un risque non négligeable : on s’inscrit d’emblée dans une prise en charge médicale qui vise des résultats rapides et quantifiables. Il s’agit de freiner au plus vite des effets dépressifs et de rétablir des comportements maternels conformes à ce que l’on attend et exige de l’évènement Maternité : sourires, entrain, optimiste sont requis au plus vite.
En privilégiant la surface, on évite soigneusement les questions de fond : à savoir celle du bébé, de son origine et celle de la maternité humaine et de son versant psychique.
La difficulté maternelle qui n’est que l’expression de la maternité psychique « contrariée » se retrouve ainsi au centre d’une temporalité qui n’est pas la sienne, mais celle de protocoles médicaux qui accordent au soin de la dépression un délai d’environ 6 mois pour la traiter.
Certes, il y a toujours du soulagement à savoir que ce que l’on vit est issu du registre médical et peut se « soigner » ou du moins se tempérer dans ses effets les plus invalidants (angoisses et troubles de l’humeur) avec des médicaments, mais la tentation est grande alors de se « déresponsabiliser » en se réfugiant derrière le diagnostic de dépression : « Ce n’est pas moi, c’est la dépression qui génère ce que je suis, ce que j’éprouve et ce que je fais ou ne fais pas. » Alors qu’une prise en charge psychologique permettrait à la mère d’aller cicatriser ce « fond d’elle-même » qui est en souffrance.
La conception et le soin psychiatrique seraient une façon de faire entendre raison au cœur, de le forcer.
C’est donc faute d’accueil à la réaction singulière de la mère à sa maternité, et par souci de « normalisation » et de « codage » que l’on parle de dépression. On clôt ainsi la parole du sujet pour aboutir à des paroles plus ou moins détachées de son vécu : la dépression devient un état anonyme où se dilue la singularité de l’individu. La réflexion et la clinique du soignant ne s’exerceront plus qu’à travers l’évolution des symptômes dépressifs ou des épisodes de décompensation.
La dépression devient le point de départ du suivi thérapeutique, le mètre étalon de la thérapie alors même qu’elle ne représente que la partie immergée de l’iceberg. Peut-on dire alors que l’on passe à côté des causes réelles de la difficulté de la mère ?