Quelque chose d’antérieur précède la dépression du post-partum, un effondrement intérieur, confondu avec le baby blues.
Derrière les mots, les silences ou les comportements de ces moments réside une réalité tue : un effondrement intérieur caché. Un préalable à la difficulté maternelle que l’on garderait pour soi, par impossibilité de communiquer dessus.
La négligence de ce vécu se cicatriserait ensuite sous une forme mineure de dépression et d’anxiété.
L’effondrement maternel n’est pas un diagnostic clinique en lui-même. Il permet bien plus de caractériser et mettre des mots sur un état de grande souffrance et de désarroi avant ou après la naissance
Il est d’ailleurs perçu tout aussi vite par la mère, mais aussitôt réprimé, comme si toutes les forces du Moi venaient à la rescousse afin de contenir cette menace.
Le « Moi » représente cette instance de la personnalité qui nous est consciente et nous pousse à agir en recevant des informations du monde extérieur, tout en composant avec les pulsions et l’inconscient.
Cet effondrement est l’inverse de celui qui préside lors d’un épisode de psychose puerpérale où il s’agit là d’un effondrement brutal non contenu par le Moi.
À contrario de la dépression qui suivrait et qui ne serait plus alors qu’un réflexe d’ajustement et de protection.
Il y a véritablement danger à attendre et à méconnaître les premiers signes de l’effondrement maternel, et de les prendre à tort pour ceux du baby blues. Contrairement à ce dernier, l’effondrement serait d’une tonalité moins franche que le baby blues, comme un baby blues qui traînerait en longueur.
L’observation précoce et attentive des femmes venant d’accoucher permettrait de révéler cet état ou du moins de l’envisager. Et savoir le reconnaître au plus tôt chez une jeune accouchée, permettrait de libérer sa parole et de lui donner accès très rapidement à la thérapie.
Pouvoir faire l’expérience de ses fragilités et défaillances sans que cela nous mette en danger ou nous condamne à la solitude est bénéfique, et nécessaire en cas d’effondrement maternel.
Il existe une sémiologie de cet effondrement, c’est-à-dire une étude des signes signifiant de cet effondrement. Même s’il est plus ou moins perceptible de l’extérieur, toutes les forces psychiques maternelles sont requises si ce n’est réquisitionnées pour lutter contre, pour tenir.
On peut retrouver des traces de cette mobilisation active dans les souhaits maternels émis tout haut, de vouloir se reprendre, se ressaisir ou ne pas s’écouter… Ce que l’on peut prendre, à première vue, pour des signes encourageants de mieux-être.
Sur le site de la société Marcé francophone, la psychiatre Odile Cazas évoque la présence de mouvements régressifs inquiétants au cours des hospitalisations des mères.
C’est l’unité de Maternologie qui en premier en a formulé l’hypothèse, en constatant (non sans inquiétude au début) que les mères hospitalisées après un temps où elles semblaient aller mieux s’effondraient soudainement comme si leurs dernières défenses cédaient.
Les troubles du sommeil et l’hypervigilance maternelle constituent souvent les premiers signes qui doivent interpeller.
Synonyme d’abandon et de laisser-aller, dormir, permet de faire - par l’intermédiaire des rêves - tout un travail de remaniements psychiques indispensable au « devenir mère ».
Ces mamans sont sur le qui-vive permanent, guettant sans cesse leur bébé dans la crainte qu’il ne lui arrive quelque chose. Elles éprouvent le besoin de se dépenser ; d’être sans cesse en mouvement comme s’il y avait un risque à se reposer, à ne rien faire et à se laisser pénétrer par la question et la réalité de leur enfant.
Ces mamans-là sont en général « très calées » sur tout ce qui touche à l’art de « bien » s’occuper de leur enfant. Mais le bébé et sa réalité humaine se retrouvent ensevelis derrière des préoccupations de maternage ou de santé. Le « faire » remplace « l’être ».
L’hypervigilance maternelle qui s’installe au-delà des premiers jours de vie de l’enfant peut devenir un cercle vicieux : avoir envie (et besoin) de dormir, ne pas y arriver, angoisser de ne pas y arriver, être épuisée, ne pas réussir à dormir, angoisser encore plus, etc.
Pour les mères en effondrement maternel, toute prise de décision peut-être compliquée, qu’elle concerne le bébé ou des choses qui jusque-là allaient de soi, le centre n’est plus nulle part. C’est aussi parfois de grandes difficultés à se concentrer qui s’ajoutent à l’indécision.
Celle-ci peut d’ailleurs parfois aller jusqu’à remettre en question le prénom choisi, une fois l’enfant né. Des regrets autour de ce prénom qui ne semble plus correspondre au bébé réel s’accompagnent aussi de culpabilité à l’idée de lui avoir choisi un tel prénom. Ce signe de l’effondrement est perceptible à travers les difficultés que peut rencontrer la mère à prononcer le prénom de son bébé, voire si elle se trompe en l’appelant ou ne supporte pas de l’entendre dans la bouche des autres.
Les signes de l’effondrement maternel, visibles de l’extérieur, peuvent s’observer aussi dans le cadre du lien entre la mère et l’enfant.
La jeune maman peut éprouver une peur paralysante des pleurs et cris du bébé, en particulier la nuit.
C’est d’ailleurs l’un des éléments qui peut alimenter une hypervigilance maternelle.
La maman peut également ressentir le besoin de mettre plusieurs épaisseurs de vêtement sur elle ou entre elle et son enfant.
L’un des autres signes de l’effondrement concerne l’alimentation, une difficulté de la mère à se nourrir, mais aussi à nourrir son enfant :
Tout sera matière à questionnements et angoisses au niveau de l’allaitement, alors que ces moments sont avant tout des temps de communication, d’échange et de rêverie pour les deux, des temps de naissance psychique aussi pour l’enfant…
La mère en état d’effondrement maternel aura (de manière inconsciente), des difficultés à respecter le temps et les rythmes de succion de son bébé, ses besoins d’absorption « avide » dans un premier temps et ses besoins de rêverie dans un second temps : réajustera fréquemment sa position au sein, ou celle de la tétine dans la bouche afin qu’il boive sans discontinuer…
Ces symptômes peuvent aller jusqu’au syndrome de rejet du nouveau-né : pas ou peu d’élan, résistance à l’émotion…
Dans certains cas, c’est le déroulement de l’accouchement en lui-même qui aura contribué à ces impressions (péridurale trop dosée, césarienne mal supportée, naissance trop rapide, épisiotomie…), mais il n’en demeure pas moins important et indispensable de chercher à savoir pourquoi cette mère ne peut en cicatriser pour accéder à son enfant.
Certaines mères au plus mal chercheront même à recréer, à mettre en scène les conditions de leur accouchement pour mettre fin à l’insupportable et insoutenable sentiment de ne pas avoir mis au monde leur enfant.
La mère en état d’effondrement peut aussi souffrir de la conscience aiguë et déchirante que plus rien ne sera comme avant, qu’on ne peut revenir en arrière.
Elle est alors envahie d’un sentiment insupportable d’être au cœur d’un néant.
Lors de la mise en œuvre du quotidien avec le nouveau-né, des conduites formelles et pragmatiques dans les soins de maternage sont visibles chez les femmes en effondrement. Ces gestes convenus ayant pour but inconscient de dissimuler le grand vide affectif et émotionnel de la maman à l’égard du bébé, celui-ci devient un « objet » de soin et d’attentions irréprochables.
Ces conduites de « recouvrement » de la difficulté vécue doivent faire de l’enfant un bébé sécurisé et sécurisant, un bébé sous haute surveillance dont rien de son existence ne doit pouvoir venir surprendre la maman.
Selon le pédopsychiatre Jacques Dayan, certains épisodes pourraient correspondre à une psychose puerpérale émergente de résolution spontanée, comme des distorsions visuelles, des illusions d’optique, des hallucinations ou visions fugaces et troublantes dont on doutera de les avoir perçues ou éprouvées.
Tout en sachant bien qu’il ne sert à rien et même serait néfaste de « reprendre » ces comportements ou de les signaler ouvertement à la maman, il est important de pouvoir les identifier pour repérer un effondrement maternel.
Comme le souligne la psychanalyste Véronique Boureau Louvet : « En matière de maternité, on ne fait pas d’orthopédie ». Ces signes disparaîtront d’eux-mêmes avec la difficulté maternelle.
Les signes extérieurs d’effondrement maternel :
Les déprimes prénatales ne sont pas vraiment de l’ordre de l’effondrement. Le contexte est différent : l’enfant étant encore à naître, l’effondrement n’est pas une réalité clinique, mais plutôt contenu dans l’idée, comme une menace imprécise. Il est plus subtil, davantage frôlé que réel, et se situe surtout au niveau de l’ambivalence du désir d’enfant.
La mère se trouve lors de cet effondrement maternel en prénatal en prise avec sa réflexion autour de son désir d’enfant : elle peut le garder ou pas et oscille en permanence entre ces deux « choix » (même à un état avancé de la grossesse et après le délai de recours à l’IVG).
En prénatal, l’effondrement s’apparente plutôt à un vacillement, comme à un écartèlement de soi où se joue de manière conflictuelle et souvent inconsciente la possibilité de donner ou pas la vie.
Les troubles de la grossesse laissant penser à ce type de difficulté sont difficiles à cerner, car ils sont aussi l’exacerbation des symptômes habituels de la gestation.
Dans son ouvrage Mal de mère, Catherine Garnier Petit cautionne l’idée qu’une grossesse difficile sur un plan psychologique n’est que rarement suivie d’une dépression dans le post-partum.
En effet, même s’il n’y a pas forcément de continuité dans l’état psychologique d’une maman avant et après l’accouchement (20 à 50 % de dépressions ou états dépressifs en anténatal ne se poursuivraient pas dans le post-partum), nous vous invitons à être prudentes et à ne pas vous appuyer sur ces statistiques pour minimiser votre suivi de grossesse.
Et si les symptômes de la grossesse avant d’être pathologiques avaient peut-être tout d’abord un sens et un but ?
C’est du moins l’idée suggérée par le Docteur Hugues Reynes dans son livre Le nouvel accouchement.
Certains symptômes, et notamment la fatigue, pourraient être envisagés comme autant d’invitations à nous poser et nous reposer, pour mieux se retrouver et se préparer à cette rencontre.
Le premier trimestre et son cortège de malaises et de symptômes procèderaient alors à une sorte de « psychothérapie gratuite » qui donnerait à la future maman l’occasion de faire la paix avec son passé. Ces phénomènes seraient naturels, en vue donc de la venue du bébé. Leur absence totale appellerait par contre à plus de vigilance.
Dans le prolongement de cette conception de la grossesse et de ses bouleversements, Monique Bydlowsky estime que cette période de la vie d’une femme peut être un temps propice pour mettre en place une psychothérapie de soutien.
La gestation s’accompagnerait d’une certaine transparence psychique, d’un abaissement du seuil de perméabilité de l’inconscient au préconscient qui faciliterait tout travail sur soi entrepris à cette occasion. La grossesse et ses symptômes de tristesse et de déprime viendraient alors comme redonner la parole au passé.
Jean Marie Delassus conteste cette notion de transparence, car selon lui, la grossesse serait davantage un temps de remous psychiques plus ou moins opaques, nécessitant toutefois d’être accompagné, plutôt qu’un moment où il serait possible via une échographie psychique de pronostiquer de l’état de la maternité à venir.