Je m'appelle Catherine, j'ai 52 ans, et je viens de terminer la lecture du livre "Tremblements de mères".
Cet ouvrage m'a été offert par ma fille Mélanie âgée de 28 ans, qui est infirmière en salle de naissance, et qui a tenu à me faire partager la souffrance de ces mères, car elle espère que ces témoignages vont m'aider à cicatriser de mon passé.
Elle est persuadée que sa grand-mère (ma mère) a souffert de cette pathologie et pense que ce livre va me permettre d'être dans la résilience.
Au début de ma lecture, j'étais sceptique car je ne reconnaissais pas ma mère dans les propos des jeunes femmes.
Elles se croyaient monstrueuses, alors que moi je les trouvais admirables, car intelligentes et lucides, avec la volonté de se sortir de cet enfer ; c'était déjà un pas vers l'amour qu'il suffisait de saisir au vol.
Elle n'avait pas d'affect, conservait un visage hermétique, aucun sourire ne venait éclairer son regard.
Elle effectuait les soins de maternage comme on le lui avait appris, mais rajoutait les claques (j'ai reçu ma première gifle à l'âge de 2 mois). C'est à cet âge que je me suis laissée mourir : j'ai fait une broncho-pneumonie, et c'est ma grand-mère qui a alerté le médecin.
Ma mère est restée indifférente à ma maladie, mon père sortait pleurer sur le palier lorsque l'infirmière venait me faire des injections d'antibiotiques, car c'était trop douloureux pour lui de me voir, petite loque souffreteuse, aux mains de cette femme qui pensait ne pas me sauver. Ma grand-mère priait pour que je guérisse.
Je m'en suis sortie. Elle a fait ensuite un pèlerinage pour remercier les cieux de cette grâce que l'on m'avait accordée.
Mon père m'a raconté qu'à ma naissance, ma mère n'avait pas voulu me prendre dans ses bras à la maternité car, d'après elle, j'étais laide, je ressemblais à un singe.
Lorsque j'ai été plus grande, elle me disait que je la décevais car elle aurait voulu une petite fille avec de belles boucles brunes comme celles de la voisine. Chaque samedi après midi, elle m'imposait une mise en plis, et tirait très fort sur mes cheveux pour poser les rouleaux.
Ensuite elle me mettait la tête sous le casque brûlant.
Toute mon enfance n'a été que brimade et humiliation.
J'ai eu deux enfants et je n'ai pas reproduit ce que j'avais enduré.
Au contraire, la naissance de mes enfants a été une telle bouffée d'amour que la douleur qui est apparue ensuite était en lien avec la réminiscence, c'est à dire que j'ai pensé : "comment ma mère a t-elle pu ne pas ressentir un tel amour pour moi" ?
Seul le témoignage de Betty Blue m'a fait un peu penser à ma mère.
Aujourd'hui, je ne suis toujours pas dans la résilience, mais dans la colère et l'incompréhension.
C'est-à-dire que je suis incapable d'aimer un homme, je ne sais pas ce que c'est que le sentiment amoureux.
Je suis une girouette qui tente de récolter un peu d'amour par-ci par-là.
Seuls mes enfants me comblent car j'ai su dès leur naissance que je les aimais tellement fort que jamais ils ne me trahiraient ni ne me feraient de mal.
Je tenais à rassurer toutes ces mamans qui souffrent car déjà le fait d'être consciente d'un dysfonctionnement prouve qu'elles sont disposées à aimer leur bébé. Même si cela vient tardivement ce n'est pas grave, il n'y aura pas de lésions.
Aujourd'hui elle est devenue une grand-mère aimante (elle adore ses petits enfants) et semble dans la réparation avec moi. En apparence, la fêlure est réparée, mais pas dans mon cœur. Je suis aimable avec elle uniquement par devoir, je n'ai pas d'élan, elle a brisé quelque chose.
Lorsque j'avais 13 ans, un jeune chanteur "Roméo" chantait un hymne d'amour pour sa mère. J'ai oublié les paroles de cette chanson, mais la maman était mise sur un piédestal. C'était aussi beau que "les roses blanches". Et bien, j'étais obligée d'éteindre la radio tellement ces paroles étaient violentes pour moi, car ma mère n'était pas à l'image de ces mères adulées et tellement aimées. C'était un sacrilège que de calquer le visage de ma mère sur ces paroles.
J'ai le sentiment que si cette association avait existé dans les années 60, ma mère n'aurait pas été en mesure de progresser car elle n'avait pas l'intelligence de ces femmes. Elle ne possédait pas non plus le sens du dialogue, était ennuyeuse à mourir, terne.
J'avais parfois un sentiment de honte car ils n'étaient pas à la hauteur de mes espérances, je les aurai voulu brillants, intelligents, intéressants, curieux, passionnants. J'imaginais qu'un jour ma mère allait m'annoncer que je n'étais pas sa fille mais une enfant adoptée. Ce fantasme me séduisait, j'aurai aimé qu'il soit réalité.
Eux, sont fiers de moi, car je suis pétillante, pleine de joie de vivre ; je leur rends visite, prends de leur nouvelles, mais ils sont loin de se douter de cette vacuité qu'ils ont mise dans mon cœur et qui m'habite chaque jour un peu plus.
A cette époque, on n'allait pas au-devant des femmes simples, mutiques, sans affect ; c'est dommage.