Donner la vie est censé être l'expérience la plus heureuse de la vie d'une femme.
Pour Roxane, ma fille. Ta naissance m'a brisée. Je me suis reconstruire pour toi, grâce à toi.
Pendant ma grossesse, je t'imaginais grandir, te développer en moi. Dans mon ventre, bercée par mon rythme cardiaque, ma voix, mes mouvements, baignant dans un liquide chaud.
Tu étais en moi, en un monde parfait. Pour moi c'était tout autre. Ce fut plus douloureux, avec des nausées et vomissements très importants, une perte de poids et des insomnies, trop d'insomnies. Pourtant, à aucun moment, je n'ai regretté que tu sois là, en moi. Tu allais bien, c'était l'essentiel.
A une semaine du terme, les médecins ont décidé d'accélérer ta venue au monde. Je n'ai pas eu peur. J'avais confiance en l'équipe médicale. J'étais prête à t'accueillir. Lorsqu'on t'a posée sur moi la première fois, je t'ai trouvé belle. Si petite, avec tes yeux déjà ouverts, sur moi, sur le monde. Je n'ai pas ressenti de déferlement d'amour comme certaines mères le décrivent mais je t'aimais déjà. Tu étais ma fille et je t'aimais. Il fallait toutefois qu'on apprenne à se connaître. Cette rencontre allait être longue et douloureuse.
Tu me faisais peur, terriblement peur. Ta vie dépendait de moi. Je devais tout te donner. Mais comment allais-je être capable de cela? La charge était trop importante pour moi. Et puis, tu venais tout chambouler. Avant j'avais la maîtrise de ma vie. Avec ta naissance, j'ai perdu l'emprise sur mon monde.
J'ai essayé de te comprendre, de te donner tout ce que je pouvais. J'y ai mis tout mon cœur mais ça ne suffisait pas. Plus le temps passait et plus je m'éloignais de toi. Mes gestes devenaient mécaniques. Je savais te procurer les soins nécessaires mais l'envie n'y était pas. En ta présence, j'avais peur. J'étais obsédée par le temps. Les minutes paraissaient des heures, les heures des années… J'aurais voulu accélérer le temps.
Toute la journée, j'attendais avec angoisses les prochains pleurs. Dès qu'ils arrivaient, j'essayais d'y répondre du mieux possible mais j'avais l'impression d'échouer, d'être une mère minable, incapable de s'occuper de sa fille, de la comprendre. Tout semblait si compliqué ! J'ai regretté ma vie d'avant… d'avant toi. Je n'ai pas regretté de t'avoir donné la vie mais ma vie d'avant me manquait terriblement.
Je te donnais tout mais ce n'était pas suffisant. Je ne te comprenais pas. Je t'aimais mais tu m'empêchais d'exister ! Il n'y avait plus que toi. Toi ! Tout tournait autour de toi ! Et moi dans tout ça ? Où était la femme que j'étais avant ? En naissant, tu avais mis fin à ma vie…
Te regarder, être avec toi me renvoyait sans cesse à mon échec. N'importe quelle autre personne aurait mieux fait. J'ai songé à partir, à vous abandonner toi et ton papa. De toute façon, ça aurait été le plus grand service que j'aurais pu vous rendre. Sans moi, vous seriez beaucoup plus heureux.
Sache que ton papa a toujours été là. Il s'est très bien occupé de nous. Il a fait plus que sa part de père. Il a assuré quand je n'en pouvais plus. Il a souffert, je le sais. Il a eu peur, je l'ai vu dans ses yeux. Mais jamais, il ne m'a fait de reproches. Il avait confiance en moi, en toi. Je vous ai souvent observés tous les deux, si bien ensemble. Il réussissait là où j'échouais. Il a tout de suite su être ton papa. Je n'ai jamais ressenti de jalousie ou d'aigreur face à votre relation. J'étais heureuse que tu aies au moins ça : un papa… toi qui n'avais pas vraiment de maman.
Pendant ces longues semaines de descente aux enfers, je me suis sentie seule, si seule. J'étais pourtant entourée mais rien n'y faisait, un mur de douleur me séparait des autres.
Je ne comprenais pas moi-même ce qui m'arrivait. J'étais comme au fond d'un puits, seule, dans le noir. Je voyais bien la lumière, les autres là-haut mais ils étaient loin, très loin. J'ai tellement souffert que la mort m'est apparue comme une issue. Je me revois penchée à la fenêtre de ta chambre, regardant en bas. Je me suis vue au sol. Si je mourais, qu'est-ce que ça changerait ? Pour toi, rien. Ton papa était là et t'aimait. Pour moi, tout. J'arrêterais enfin de souffrir. Ce que je dis est difficile à croire, à entendre mais ce fut mon ressenti. Ce que j'ai vécu des milliers de mères le vivent chaque année. Il faut savoir qu'une mère peut vouloir mourir d'avoir donné la vie !
Et puis il y a eu ce jour. Ce jour où je suis tombée si bas que je n'avais plus le choix: soit je restais à terre, à jamais, soit je me relevais. J'avais tellement mal que j'ai sincèrement cru que j'allais mourir. Une telle souffrance ne pouvait mener qu'à cette issue fatale. Je ne suis pas morte mais j'ai eu peur... Une peur intense, sourde. Je ne pouvais plus continuer à vivre comme ça, je ne pouvais plus me voiler la face. Soit j'agissais, soit je mourais.
J'ai été prise en charge à la maternologie de Saint Cyr l’École. Je ne remercierai jamais assez les professionnelles que j'y ai rencontrées. Grâce à elles, j'ai pu devenir mère. J'ai appris à être ta maman, à me faire confiance, à nous faire confiance.
Notre histoire est singulière mais elle est belle. Notre rencontre n'est pas toute rose, toute lisse, elle est plutôt cabossée mais c'est la nôtre et je l'aime. Ta naissance a chamboulé toute ma vie, elle a détruit tout ce que je pensais avoir construit mais petit à petit, je bâtis quelque chose de plus solide. Aujourd'hui, je suis plus forte, plus sereine pour affronter la vie.
Toi aussi, tu deviendras peut-être mère un jour. Je te le souhaite. Tu sauras au moins que tout n'est pas facile, instinctif comme on aime à nous le faire croire. La maternité peut être un chemin semé d'embûches, de douleurs mains on y trouve aussi beaucoup d'amour et de bonheur. Quel que soit le chemin de femme, de mère que tu emprunteras, je t'y accompagnerai du mieux que je peux...
Janvier 2015