Je nous raconte depuis une décennie.
Cette année, tu fêteras tes 12 ans.
Tout ce temps nous sépare de ta naissance. Pourtant tout reste intact.
La douleur physique et psychique est un souvenir bien trop traumatique pour que je puisse l’oublier.
Quand tu t’es nichée dans mon ventre, nous t’attendions ton père et moi depuis deux ans déjà.
Nous avions « planifié » cette grossesse, puisqu’après 10 ans de vie commune, nous décidions de nous lancer dans cette folle aventure qu’est la parentalité.
Nous avons appris ton existence au détour d’un rendez-vous pour tenter de comprendre ce qui ne fonctionnait pas.
Voilà, j’étais enceinte, mais le bonheur tant attendu n’était pas là.
J’étais soulagée d’être parvenue à tomber enceinte. Mais je ne ressentais que peu de joie de le savoir. Ambivalence et sidération dans mon giron.
Les choses ont très vite pris une tournure très médicale. À mes 2 mois de gestation, un décollement placentaire a entraîné des saignements et une menace accrue de fausse couche. Une première hospitalisation de quelques jours s’ensuivit.
Je devais rester alitée. J’ai entendu, suivi les conseils à la lettre, et j’ai commencé à me renfermer sur moi-même.
De cette grossesse, je ne retiens que la tristesse, la peur de mourir, les angoisses importantes, la perte de sommeil et d’appétit et une hypocondrie poussée à son paroxysme.
J’ai très vite basculé vers des menaces d’accouchement prématuré du fait d’un utérus hypercontractile mais aussi de la dégradation de ma santé psychique.
Je n’ai pas eu conscience des conséquences de cet alitement sur ma santé mentale.
Hyperactive, mon corps est devenu une prison dorée que je me devais d’entretenir pour l’enfant que je portais. En outre, j’ai subi le diabète gestationnel et devais me piquer 6 fois par jour au minimum.
4 pauvres kilos pris en tout et pour tout. C’était assez symptomatique de ce que je traversais.
L’ultime hospitalisation s’est déroulée lors de mon dernier trimestre. Une crise d’angoisse majeure m’a saisie un samedi après-midi. J’étais persuadée que je faisais une crise cardiaque. Aux différents examens, rien n’était inquiétant, mais mon col continuait dangereusement de bouger. Les médecins ont procédé à l’injection de Célestène pour la maturation des poumons de ma fille.
Je suis revenue chez moi avec une simple surveillance de la sage-femme et un ordre strict d’alitement. J’ai alors pu compter sur les membres de ma famille, et plus spécifiquement ma belle-mère. Elle a pris la mesure de mon état psychologique et a fait appel au CMP (Centre médico-psychologique) de mon quartier pour que je puisse parler de ce qui se tramait en moi.
Une pédopsychiatre et une infirmière psychiatrique se sont déplacées à mon domicile. Elles m’ont écoutée et ont proposé de revenir la semaine suivante.
La 37e semaine d’aménorrhée passée, donc le seuil de prématurité, j’ai été autorisée à retrouver une station debout. Cela signa le début du travail.
Après une nuit entière de contractions, ventre et dos, nous avons pris le chemin de la maternité. Pas de faux travail, c’était le moment de la rencontre.
Je ne redoutais aucunement l’accouchement. Mon côté rationnel me poussait à penser que la respiration était la clé. J’ai eu recours à la péridurale qui a fini de me clouer au lit. Plus aucune sensation, si ce n’est celle d’avoir quelque chose au milieu des jambes. La tête de ma fille.
Le gynécologue m’a accouchée. Non non, je ne me trompe pas d’expression. Je n’ai pas été l’actrice principale de cet événement de vie si important. Un homme a fait sortir ma fille de moi, il a pratiqué une épisiotomie sans m’en informer, m’a recousue en papotant, est reparti et m’a laissée avec cette inconnue minuscule. Elle faisait moins de 3 kilos. Elle était en couveuse.
Nous avons attendu quelques heures dans cette salle d’accouchement grise et froide.
Puis nous sommes remontés en chambre.
Dans tout le début de ce récit, le père de ma fille semble inexistant. Son absence n’est pas un fait. Je considère que ma solitude a été très intérieure et mon retrait de la vie est devenu de plus en plus prononcé à l’approche de la naissance.
Cette solitude, je l’ai de nouveau éprouvée au centuple quand il est reparti de la maternité, me laissant avec cette enfant tout juste née. J’aurais eu besoin de lui et de tant d’autres. J’ai été infiniment seule.
5 jours en suites de couche, 5 jours d’un calvaire indéfinissable. L’allaitement fut un facteur aggravant de ma chute finale. Je croyais naïvement que je saurais faire. J’ai souffert encore. Les seins en sang dès la première tétée. Et tous ces discours discordants qui me perdaient.
Je n’étais plus en capacité de m’occuper de moi.
Je ne voulais pas rentrer à la maison. S’ils me laissaient sortir, c’est qu’ils n’avaient pas mesuré mon impossibilité à être la mère de cette petite fille.
Quand le retour s’est amorcé, ma raison s’en est allée. Quelques heures après notre arrivée chez nous, tout a implosé en moi. Je ne fonctionnais plus. Je me disloquais.
C’est aux urgences psychiatriques que le diagnostic de dépression du post-partum a été posé. Je voulais que cette douleur intérieure cesse. J’accepterais tout ce que l’on me proposerait. J’ai été hospitalisée en clinique psychiatrique au vu de mon délabrement psychique et, faute de place, en unité mère-bébé. J’y suis restée deux mois. Je suis entrée dans un monde que personne ne souhaiterait expérimenter à ce moment de sa vie..
J’ai pris des antidépresseurs et des anxiolytiques. Après deux mois d’insomnie, j’ai enfin dormi.
J’ai commencé un travail thérapeutique avec la psychologue de la clinique. Le courant entre nous n’était pas fluide, mais je déversais tout ce que j’avais gardé en moi depuis de nombreux mois. Je parlais de ma grand-mère, de son absence, du regret de ne pas pouvoir lui présenter ma fille. En écrivant, ici, je prends conscience de ce deuil traumatique. Quand ma petite mamie nous a quittés, j’ai cru que je ne m’en remettrais jamais. J’ai été mal pendant plusieurs mois, puis la vie a repris. En portant un enfant, son absence s’est faite bien plus forte. Mais cet évènement pouvait-il être la raison de mon effondrement identitaire ?
Je peux le dire aujourd’hui, la mort a été omniprésente pendant ma grossesse ; la mienne, mais aussi potentiellement celle de l’enfant que je portais. Ce que je verbalisais en mentionnant ma grand-mère partout, tout le temps, c’était cette notion de mort. La sienne, mais bien plus encore la question existentielle que l’être humain tourne en boucle, souvent.
Mon passage en psychiatrie m’a permis de reprendre du poil de la bête.
À la fin de cette période de soin, ma fille a été prise en charge en unité de psychopathologie périnatale (UPPP). Elle présentait des troubles du sommeil, alimentaires, et un eczéma conséquent sur une grande partie de son corps. Notre relation n’avait pas débuté. La construction de notre lien n’en était encore qu’à son balbutiement. Nous avions besoin de soutien pour nous rencontrer. Nous sommes restées 6 mois dans cette structure, à raison de trois jours par semaine passés sur place.
À ma sortie de clinique, j’ai dû chercher un nouveau professionnel pour mon suivi. Je n’avais pas les moyens de payer des consultations chez un psychologue. Après des démarches infructueuses auprès du CMP de quartier, et deux rendez-vous ubuesques chez un premier psychiatre, j’ai trouvé la perle rare.
Elle était attentive, m’écoutait, me questionnait. Le suivi était régulier, deux fois par semaine dans un premier temps, puis les rendez-vous se sont de plus en plus espacés ; j’allais de mieux en mieux.
Mon traitement était toujours en place. Il a aussi été réduit de mois en mois.
7 mois après la naissance de ma fille, tous les soins ont cessé. J’étais en capacité de m’occuper d’elle. Je ne représentais plus de danger pour cet enfant. Je pouvais parler d’elle comme de « ma » fille.
Lorsqu’elle a fêté son premier anniversaire, j’étais enfin moi. Je m’étais délestée des couches superflues.
Ma naissance en tant que mère a été douloureuse au possible, mais elle n’a pas été que ça. C’était une porte ouverte sur de nouveaux horizons. Elle m’a permis d’acquérir une meilleure connaissance de moi, de mon fonctionnement. De forte – ce que je croyais être –, je suis devenue « humaine », avec mes fragilités et mes ressources. J’ai pu me servir de cette expérience pour la mettre au service d’autres femmes.
J’aurais aimé que l’on m’informe dès le début de ma grossesse des potentiels troubles psychiques qu’une femme pouvait vivre en portant la vie et en la donnant.
J’aurais aimé que l’on me voie au-delà de mon utérus. Cela aurait très certainement permis une prise en charge dès les premiers symptômes de mon mal-être.
J’aurais aimé que l’on me parle du tsunami que représente le fait de « devenir parent », au-delà de n’importe quel trouble psychique.
J’aurais aimé être entourée, quand bien même je me serais malgré tout sentie seule.
Je ne regrette rien.
J’ai eu mal à en crever et je me suis relevée.
Je suis debout, même si je flanche par moments parce que la vie est loin d’être linéaire…
Souvent, de petits cailloux dans les chaussures empêchent de marcher. Mais avec patience et persévérance, en les enlevant un par un, on peut de nouveau se mouvoir, et avancer.