Il faut vivre avec le sentiment d'être un lapin pris dans les phares d'une bagnole.
Il faut vivre avec ce poids sur la poitrine, tout le temps ou presque.
Il faut vivre avec le regard des autres qui savent, qui tâchent de comprendre, ne comprennent pas vraiment.
Qui veulent aider, n'aident pas vraiment.
Qui compatissent mais au fond se demandent ce que c'est ce truc, cette dépression du post-partum.
Qui trouvent que je ne vais pas si mal. Que je souris. Que je rie, même.
Qui ne se doutent pas un seul instant de cette blessure atroce, si longue à cicatriser. La marque que je garderai à vie de ce jour où j'ai eu un enfant et où je n'ai pas pu m'en occuper.
De ce jour où tout en moi s'est effondré. Les apparences, les défenses, le plaisir, l'envie, le sens, la direction. Tout.
De ces matins où j'ai regretté qu'elle soit là.
De ces matins où j'aurais préféré qu'on m'interne, abrutie par des pilules, plutôt qu'avoir à vivre une journée de plus dans cet état.
De ces jours où j'ai douté de tout au point d'être paralysée, incapable même d'accomplir les tâches de la vie quotidienne.
De ces jours encore nombreux où les minutes sont des heures et où je n'attends que le moment d'être libérée.
Dans 8 heures, dans 7 heures, dans 3 heures, dans une demi-heure, Fabien rentrera du travail.
Attendre qu'il soit juste là. Pas pour qu'il s'occupe d'elle, non. Juste qu'il soit là pour meubler mon vide, arrêter l'engrenage infernal qui tourne toute la journée : quand la coucher, où la coucher, quand la lever, quand la faire manger, quand laisser la porte ouverte, quand la fermer, quand me doucher, quand, quand, quand…
La marque d'une immense culpabilité vis à vis de ma fille que j'aime si fort mais dont je me passerais volontiers.
Pas tout le temps, mais parfois.
Souvent.
De moins en mois souvent mais quand même…