J'ai rêvé de la maternité depuis que je suis toute jeune fille.
Je vous fais grâce de l'image d'Épinal que j'avais en tête, on est pas mal à tomber de haut tellement le décalage est grand avec la réalité.
J'ai vécu une enfance douloureuse, meurtrie, violente :
Une mère effacée et néanmoins maternelle dans les soins à apporter aux enfants. Il n'a manqué que le respect, la parole, le langage.
Un père violent, frustré, de plus en plus alcoolique avec les années, etc.
Bref un départ difficile mais dont je me suis remise avec des années de psychothérapie.
Équilibrée, bien dans ma peau, j'ai rencontré mon mari en 1998. M est né en 2002.
Une grossesse merveilleuse pour une femme de presque 38 ans : pas de nausées, de la joie. Seule ombre au tableau : moi qui avais toujours dormi comme un loir, j'ai commencé à avoir des insomnies sévères, qui me réveillaient tous les matins à 4h30 ou plus tôt.
Premier signal que quelque chose n'allait pas.
Les médecins ne sont pas formés à ces signaux. On m'a donné des plantes.
A 15 jours du terme, le gynéco a déclenché mon accouchement SANS ME LE DIRE en décollant les membranes ( témoignages des femmes, c'est comme cela que j'ai su).
Presque 40 heures de contractions. Sans dormir, sans souffler, sans comprendre.
Sans comprendre que j'étais en train de reproduire le calvaire de ma mère. Accouchée par un médecin ivre (il y a plus de 50 ans), endormie sans préavis, elle s'est réveillée avec un bébé handicapé par l'accouchement, moelle épinière sectionnée.
L'enfant est mort dans sa première année de vie.
Ma soeur a "pété les plombs" à la naissance de sa fille.
J'ai pété les miens à la naissance de mon fils.
Portées dans l'angoisse inconsciente et terrible pour ma mère que " Ça " ne recommence. "Ça" a explosé à la grossesse, pendant l'accouchement.
Petit à petit, je n'ai plus dormi.
Petit à petit, il est devenu impossible de le poser.
Il ne dormait pas non plus : 15mn, 30mn de suite, pas plus.
Petit à petit, je me suis mise à le détester, à me détester, à sombrer. Je rêvais en traversant le pont que je me jetais à l'eau avec lui.
Mon mari avait insisté pour un déménagement, loin de ma famille et de mes amis (pour son travail en fait).
Je me suis retrouvée seule en rase campagne avec ce bébé inconnu qui me terrifiait, que je n'arrivais plus à toucher. Il avait 7 semaines.
Seules celles qui ont ressenti cela peuvent palper cette monstrueuse angoisse qui pointe sa tête hideuse, cette horreur tapie dans l'ombre, qu'on fait taire 5mn puis qui réapparaît...
J'ai tenu bêtement jusqu'à ses 3 mois où là j'ai senti que j'allais essayer d'en finir par n'importe quel moyen avec cette souffrance.
J'étais restée en contact avec une psy de l'unité de Maternologie de Saint-Cyr l'Ecole puisque j'habitais auparavant en banlieue Ouest.
J'ai débarqué avec ma mère et mon petit une après-midi là-bas (ma mère a été admirable, elle a beaucoup évolué, elle m'a soutenue à 100 pour 100) et là, malgré ma terreur, j'ai senti que quelque chose lâchait enfin en moi.
Je pouvais me poser.
On allait m'aider à reprendre le fil, à ne pas bousiller mon gamin, j'ai décidé de tenir pour lui. Nous sommes restés 3 mois car j'étais très mal en point. Moi qui aie traversé bien des épreuves, j'ai demandé à un moment donné l'autorisation d'en finir parce que ce n'était plus supportable.
J'ai touché le fond.
En fait, ils ont manipulé mon traitement médicamenteux pour me faire craquer, parce que je m'étais refait des défenses bétonnées en allant un peu mieux.
Impossible de toucher le petit à nouveau pendant plusieurs jours. Réveillée à 3h malgré des doses massives de somnifères. Je les menaçais de me tuer sous leurs yeux. Cela a été le passage le plus terrible.
C'est ma soeur qui m'a aidée à remonter, pendant que le cadre me soutenait. Elle m'a racontée son expérience, elle qui est RESTEE SEULE AVEC CELA.
J'ai commencé à remonter la pente.
De mon séjour j'ai de bons et mauvais souvenirs. Des paroles très mal à propos de certaines infirmières, très dures à supporter dans cette fragilité.
Des paroles et des gestes formidables d'autres soignants. Des entretiens libérateurs. Mon mari présent malgré 160 km à faire aller-retour pour nous voir.
Cette fragilité je la portais en moi, que seule la maternité aurait pu révéler. Ce n'est la faute de personne. Une combinaison de choses inconscientes et destructrices, amplifiées par ma brutale solitude suite au déménagement.
Une transmission de la maternité non effectuée par ma mère, ni par sa propre mère. Toutes choses à INVENTER PAR MOI. J'ai à trouver ma seule et véritable façon d'être mère pour mon petit. Il m'a fallu un an pour m'en sortir vraiment et tout ce temps j'ai parlé à mon fils, lui ai dit ce qui se passait, que rien n'était sa faute.
Une année de plus pour être vraiment bien, vraiment de plus en plus en confiance avec moi-même pour clouer le bec à "celles qui savent tout", les super maman qui ne défaillent jamais.
J'ai de grosses blessures et de grosses failles.
Je n'oublie jamais une chose : on choisit de faire un enfant et l'enfant CHOISIT LUI AUSSI DE VENIR AU MONDE PAR CETTE MERE-LA...
Mon fils aussi m'a aidé dans cette faille que je portais en moi sans le savoir.
Je n'ai que de la gratitude pour cette Maternologie qui fut mon "utérus" pendant trois mois, le temps pour moi de réapprendre à marcher.
Voilà, cela m'a beaucoup émue de vous livrer ce témoignage. J'espère qu'il aidera d'autres mamans à traverser des périodes difficiles.