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Je ne peux pas le regarder dans les yeux, j'ai l'impression qu'il me juge...



Si je tiens à témoigner ici, c'est parce que, durant mon parcours, j'ai longtemps cru que j'étais la seule femme, la seule mère à qui tout cela arrivait...

Je m'aperçois aujourd'hui que nous sommes des milliers et, loin de me rassurer, je pense à toutes ces femmes qui vivent, seules dans leur coin, ce que j'ai pu vivre.

Où tout commence

Nous sommes en 2001, j'ai 22 ans, des études d'éducatrice spécialisée après une scolarité brillante, je viens d'apprendre que je suis enceinte. Je suis folle de joie. Je vis avec mon compagnon, que je connais depuis plusieurs années et mon rêve le plus grand est en train de se réaliser : je vais devenir maman. Je sors d'une histoire d'enfance difficile, avec le décès de ma maman lorsque j'avais 2 ans et demi, le remariage de mon père et de la maltraitance jusqu'à ce que je quitte la maison, à 18 ans.

Je vais enfin bien, je suis heureuse, j'ai tourné une page, je vais enfin connaître THE bonheur.

Quelques semaines après, les choses commencent à s'effriter un peu : je suis enceinte et heureuse, mais je m'aperçois, avec effarement, que je ne veux pas d'un garçon (qui, selon moi, ne pourrait QUE ressembler à mon père ou mon frère), et je ne veux pas d'une fille qui me ressemblerait. J'ai des moments de panique, et d'un coup, me revient comme un boomerang la mort de ma mère et la certitude que je ne saurais pas m'occuper d'un bébé puisque je n'ai pas eu de mère.
Je fais la démarche de rencontrer un psy à l'hôpital, qui me suivra toute ma grossesse, et petit à petit, les choses s'améliorent. Quand à 5 mois de grossesse, j'apprends que j'attends un garçon, je me sens presque soulagée, je me focalise sur l'idée qu'il ressemblera à mon mari, qu'il sera de sa lignée à lui, de sa famille.

Un attachement impossible dès la grossesse

Je m'en détache déjà, mais je ne le sais pas encore.
Ma mère étant décédée d'une embolie après un accouchement, je suis extrêmement suivie sur le plan médical, mais à chaque fois que j'exprime la peur de mourir en accouchant, on me rétorque que "c'était il y a 20 ans et que les choses ont évolué depuis".
C'est tout.

Personne ne prend la peine d'écouter cette peur viscérale qui me prend au ventre.


Le jour de l'accouchement : 7 ans après, ça reste un moment extrêmement douloureux pour moi.
Déclenchement (pour convenance du personnel), péridurale de cheval, 4 heures du matin, je dors.
La sage femme rentre et me crie dessus que mon bébé arrive, comment ça se fait que je ne l'ai pas senti arriver ? Elle me demande de pousser et là, vraiment, j'ai une sensation d'irréalité, de regarder une pièce de théâtre qui ne me concerne pas. Je ne sens rien, je ne comprends rien, on me pose un bébé sur le ventre. Je ne suis pas morte, c'est déjà ça.

Il est là et … rien

Je regarde ce bébé, mon mari tout aussi sidéré que moi et là je ne ressens rien. Je suis coupée, réellement, de toutes sortes d'émotions. Aucune ne me vient. La seule pensée qui me vient c'est que, dans les films, on pleure de joie à la naissance d'un bébé, et moi, je ne sens rien.

Alors je pleure de ne rien ressentir, et tout le monde me félicite pour ce beau bébé.

La suite durera 1 an. Très vite, dès que je suis seule avec le bébé, je ne peux pas m'en occuper. Si mon mari ou quelqu'un d'autre est avec moi, ça va, je donne le change et je me sens rassurée par la présence d'un tiers. Mais rester seule avec ce bébé m'est insupportable. Je ne peux pas le regarder dans les yeux, j'ai l'impression qu'il me juge. Tout ce que je fais avec lui, je le fais mécaniquement, avec l'impression de me regarder faire.
C'est bizarre, cette sensation, mais c'est vraiment comme ça que je le ressentais. Comme si je m'observais de loin.

La nuit, je ne dors pas, ou très peu.

Le jour, je dors d'un sommeil de plomb en laissant le bébé dans un transat à coté de moi. Je passe le moins de temps possible en contact avec lui, ses pleurs me font hurler d'angoisse. Le soir, quand mon mari rentre du travail, je lui dis que le bébé a été insupportable. Ce n'est pas vrai, mais c'est ainsi que je le ressens. Cet enfant a eu très longtemps une étiquette "d'enfant difficile" pour mon mari, et c'est moi qui ait provoqué cela.
Dès que je peux, j'envoie mon bébé à la garderie ou chez ses grands parents paternels. Je suis persuadée qu'il est mieux partout ailleurs qu'avec moi, que les autres savent mieux s'en occuper.
Je ne supporte pas l'idée que ce bébé soit dépendant de moi. Souvent, je me surprends à penser qu'il faut qu'il se détache de moi, parce que si un jour je meure, il ne faut pas qu'il souffre.
Et puis le jour de ses 1 ans arrive. L'année la plus longue de toute ma vie. Ce matin là, je me réveille et je m'aperçois de tout ce chemin que j'ai fait. Celui depuis ma naissance, depuis la mort de ma mère, depuis mon départ de la maison parentale, je m'aperçois que je suis à deux doigts de la maltraitance physique sur mon enfant, que tout ce que j'ai combattu toute ma vie, je suis en tain de le reproduire.
C'est un choc.

Une aide nécessaire pour ne pas me perdre

J'attends le soir et je demande à mon mari de me conduire chez le médecin. Dans la voiture, je lui explique que je vais très mal. Il ne s'était aperçu de rien, il tombe des nues.
Le docteur me prescrit des anti-dépresseurs, et, oubliant de rappeler mon mari pour qu'il vienne me chercher, j'entreprends de rentrer à pied à la maison. À 10 kilomètres, je suis sonnée, dans un état second, au bord du gouffre. Un voisin me cueille sur le bord de la route et me ramène chez moi. C'est l'anniversaire de mon fils, mes beaux parents sont là, la fête est prête.
Là, ce dont je me souviens, qui reste très fort ancré en moi c'est mon beau -père (le père de mon mari): il ouvre la porte et me sert fort contre lui. C'est un homme très réservé, et ce geste, venant de lui, me touche énormément.

Je ne suis pas jugée, je le comprends immédiatement, et c'est très fort pour moi.

15 jours après, je vais déjà mieux, je dors la nuit et moins le jour. Je peux passer quelques minutes seule avec mon fils, mais je ne peux pas encore lui parler sans avoir la sensation de me regarder faire. J'ai l'impression d'une adoption, j'arrive enfin à voir mon fils, à le regarder, à faire quelques pas vers lui. Les choses se ré-apprennent doucement, mon mari est en congé pour 2 mois, et il m'aide à reprendre confiance.

Un jour, quelques mois plus tard, mon fils fait une pitrerie et j'éclate de rire. C'est mon premier rire "spontané " depuis plus d'un an. Il est venu tout seul, et je n'ai pas cette sensation de me regarder faire. Je suis DANS mon rire. Ça fait tellement de bien !

S'adopter enfin

Nous mettrons encore au moins une année à nous adopter. Les choses ne seront vraiment beaucoup mieux que vers ses 5 ans. Aujourd'hui, je l'aime immensément, nous avons une belle relation, et je lui sais grée de cette patience qu'il a eu d'attendre que je sois prête à être sa mère, de m'attendre.
Arthur est un petit garçon merveilleux, qui aura 7 ans dans 10 jours. Il connaît notre histoire et sait qu'il a eu la chance d'avoir un papa et des grands parents très présents à un moment où sa maman ne l'était pas.
3 ans après, nous avons eu un autre bébé, une petite fille. Bien préparée, avec une naissance à la maison, j'ai eu immédiatement le coup de foudre pour cette petite fille, qui me ressemble tant.

Nous sommes aujourd'hui très heureux et cette période de ma vie, derrière moi, reste pour moi l'étape qui a été la plus dure à franchir.


J'ai eu besoin que mes enfants m'acceptent comme mère pour me sentir le droit de l'être. C'est Arthur qui m'a fait maman, j'ai mis plus de temps que d'autres, mais nous y sommes arrivés et j'en suis fière. C'est de cette bataille qu'est né mon sentiment maternel, et il est d'autant plus fort qu'il ne m'a pas été "donné".
Pour finir : le hasard faisant souvent bien les choses, Arthur est né la jour de la fête des mères et ma fille, le jour de la fête des grands-mères…

Qui a dit que j'avais quelque chose à régler avec la maternité ? 😉




Gaëlle

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