La grossesse et la naissance de mon enfant sont à jamais associées à des moments d'atroces angoisses...à tel point que j'ai sombré dans la folie.
Tout d'abord, je ne réalise mon état de grossesse qu'à la fin du deuxième mois alors que ma situation professionnelle est déplorable : mon employeur a supprimé mon emploi mais refuse de me licencier, il souhaite que je démissionne. Je viens travailler tous les jours alors que je n'ai plus de bureau... Je tiendrai encore 1 mois avant d'être licenciée...
Au cours de ma grossesse, je suis continuellement inquiète pour mon enfant et pour moi. Je pense à des malformations, à la mort, je vérifie sans cesse qu'il bouge toujours. Je me réveille ou m'endors terrorisée, en proie à des angoisses terribles sans raison. Je pleure en disant : "je ne veux pas de cet enfant, je n'y arriverai jamais, c'est trop dur"...
L'acupuncture, le soutien de mon compagnon et d'une sage femme à domicile m'aident à tenir.
Et puis soudain, toutes mes inquiétudes sont fondées : victime d'une pré éclampsie sévère et d'un help syndrome à 31 semaines de grossesse, un accouchement en urgence par césarienne est envisagé du jour au lendemain. Nous frôlons la mort mon bébé et moi, ce que je craignais tant depuis le début de la grossesse...
Au bloc opératoire, je ne suis plus que tremblements, je crois que nous allons mourir... Je ne pense qu'à me battre pour survivre, pour moi d'abord et mon bébé ensuite...(j'ai par la suite beaucoup culpabilisé d'avoir avant tout pensé à moi).
L'enfant est en vie, l'hémorragie n'avait finalement pas commencé et c'est une fille. Elle a l'air d'aller bien et arrive même à respirer malgré sa prématurité. Elle pèse 1300g (et pèsera au plus bas 1100g), on me la montre deux secondes avant de l'examiner et de la mettre en couveuse et sous oxygène.
Dans la salle de réveil, je suis soulagée, je suis délivrée de ce fardeau... C'est vrai, je ressentais cette grossesse comme un fardeau, il faut dire les choses comme elles sont. Cependant, très vite je ne pense qu'à mon enfant. Je ne peux la voir que le lendemain soir, j'en crève, j'en pleure de cette séparation, je souffre...
Le choc lorsque je la vois : elle est maigre, perfusée, sondée, toute fripée, on dirait une petite souris...Elle est loin de ressembler au bébé rêvé...
Ma fille reste 6 semaines en néo-natologie dans deux hôpitaux différents. Nous sommes passés par tous les états : incertitude, attente, découragement, colère (contre le personnel) et surtout angoisse (de la mort, des séquelles de la prématurité... ).
Notre fille est une battante : elle respire vite seule, elle accepte l'alimentation par sonde de gavage (quel nom barbare... ), 4 semaines plus tard elle tête un biberon puis je l'allaite...
Nous sommes très peu soutenus psychologiquement par les équipes médicales, nous nous battons chaque jour pour garder le lien avec notre enfant.
Je reste constamment à ses côtés ainsi que son père. Je tire mon lait tous les jours, je lui parle, je la touche. Je fais tout ce que j'estime nécessaire à sa survie mais je suis un automate, je joue à la maman, rien n'est réel, elle n'est pas encore à nous, elle appartient à l'hôpital... D'ailleurs nous ne sommes jamais réellement seuls avec elle (les boxes sont vitrés).
De retour à la maison, je m'acharne à l'allaiter, je mets un point d'honneur à réussir ce mode d'alimentation car cela permettra de pallier la grossesse ratée. Je me sens en effet coupable de la naissance prématurée, on dit tellement que le stress est néfaste pour les bébés in-utéro que je pense que mes angoisses sont à l'origine de cette naissance précoce. Ma fille est également hypotrophe, elle a été insuffisamment nourrie...
Je me dois donc de réparer tout cela mais je suis épuisée, seule, car son père a repris le travail.
Je suis également hyper inquiète par ce bébé minuscule, elle ne pèse encore que 1800g à sa sortie de la maternité...Elle devient bleu après son bain, elle ne se réveille pas pour demander à manger, je dois la réveiller...J'en perds le sommeil.
Puis je dois retourner à l'hôpital pour une vaccination, elle doit être hospitalisée en cas d'effets secondaires. Elle est de nouveau observée : saturation d'oxygène, rythme cardiaque, température, tout recommence. Ce n'est donc pas terminé, ma fille est encore en danger, on ne m'a pas dit la vérité...Au retour à la maison, je commence à "partir" ailleurs...Je crois que mon bébé est en train de mourir, je suppose qu'elle va être handicapée du fait de la prématurité, je me dis que les médecins m'ont trahie.
Je sombre peu à peu dans une autre réalité : je parle sans arrêt mais personne ne veut m'écouter, surtout pas mes parents venus me rendre visite (ils retournent dans leur région à 1200 km au moment où j'ai le plus besoin d'eux... ). Je ne dors plus, je ne mange plus, je n'arrive plus à nourrir mon enfant, à me lever... J'appelle au secours de nombreux amis mais ils ne me prennent pas au sérieux et surtout personne ne perçoit réellement mon état (Je téléphone pourtant parfois en pleine nuit).
J'ai des hallucinations auditives, je crois qu'on va venir prendre mon enfant ou me tuer. Je me jette dans la mer en plein mois de décembre, je ne sais plus qui je suis, je crois que je suis morte et que je suis ma mère...Le lendemain je suis devenue mon père...
Un matin, je manque de jeter ma fille dans les toilettes, je réalise ce que je viens de faire, j'appelle mon ami qui appelle les pompiers. Je me précipite dans la rue en jetant le couffin dans le caniveau (mon bébé était resté dans mes bras). Je vais me réfugier à l'épicerie du coin car je réalise qu'on va me prendre mon enfant. Je me retrouve en hôpital psychiatrique complètement perdue au milieu de malades totalement différents de moi, d'autant plus que je suis redevenue une petite fille, je regarde les pieds des gens, je suis fière d'aller aux toilettes toute seule... Je refuse de prendre les médicaments, on m'attache pour me faire des injections de force, je crois être arrivée en enfer.
Une semaine plus tard, je retrouve mes esprits, je suis soulagée de me retrouver enfin seule et déchargée de mes responsabilités de mère même si très vite je demande à voir mon enfant. Le soutien des autres malades certes différents m'est précieux, ils m'écoutent et je les écoute, sans aucun jugement de part et d'autre. Je profite de ces trois semaines pour me préparer à affronter la nouvelle vie qui m'attend.
Le retour à la maison est difficile : l'unité mère enfant de ma région archi-comble, on m'oblige à avoir recours à une assistante maternelle plusieurs fois par semaine ainsi qu'à une travailleuse à domicile au lieu de me valoriser et de me soutenir en tant que mère Je me sens une nouvelle fois incompétente.
Je suis suivie par une psychologue du CMP qui m'aide beaucoup mais la PMI ne m'est en revanche d'aucune aide. Je me sens jugée par ces femmes qui ne pensent qu'au bébé sans penser à moi.
Je dois me battre avec mes pulsions pour tenir et prendre soin de mon enfant que je considère toujours comme un fardeau qui pèse une tonne...
Mais mois après mois, je prends confiance en moi, l'épanouissement de mon enfant en est la preuve, je me sens mère et fière de ma fille. Nous apprenons à nous connaître et notre relation devient de plus en plus forte.
Je ne culpabilise plus du geste que j'ai eu envers ma fille et je suis pleine d'indulgence envers moi-même.
Je n'étais simplement pas préparée à la naissance de mon enfant et à devenir mère, tout simplement : j'étais une mère prématurée moi aussi. Au total je n'ai eu que 5 mois de préparation psychologique à ce nouvel état. Cette transformation à l'état de mère a été par ailleurs largement amputée par la séparation d'avec mon enfant en service néonat. Je ne comprends pas qu'on emménage pas des chambres à côté de nos enfants...
Je regrette enfin de ne pas avoir été dans une unité mère-enfant après mon séjour en HP. Il manque cruellement en France de ce type de structures. J'aurai eu besoin de cette transition et d'une équipe maternante à mon égard.
Aujourd'hui, ma fille a deux ans et 4 mois, elle va très bien, je l'aime et je me sens plus forte qu'avant ma grossesse.