Je ne sais pas quand ça a commencé. Je pensais dès la première minute de sa vie mais à bien y réfléchir, peut-être avant… Grossesse si idéale physiquement que si elle n'avait pas été voulue, j'aurais pu faire un déni tant je ne me sentais pas enceinte, malgré le ventre et les mouvements.
Je rentre du taf vers 23h, toujours stressée car ça ne se passe pas super bien avec une ado. Il fait nuit, je roule à 100km sur la portion de nationale… et là j'ai peur de "fermer les yeux" : en fait je sens que je vais fermer les yeux quelques secondes, mais la peur que ça arrive m'envahit. Et ça arrive. 1 seconde ? 2 secondes ? les mains moites et peinant à chasser ça de mon esprit, je prends maintenant l'habitude de passer par le premier village pour que les lumières de la ville me ramènent "là".
Le 11/05/2011. 16h06. Elle est là. On me la met dans mes bras, je la regarde, elle me regarde et … rien ne se passe.
Le coup de foudre tant raconté et si attendu n'arrive pas.
Je ne comprends pas. Je ne la connais pas… je ne me (re)connais pas en elle.
Ce que je ressens ? Je ne sais pas. Enfin si, plein de choses teintées d'étonnement surtout. C'était donc ELLE dans mon ventre, c'était donc elle que je sentais remuer, donner des coups de pieds, de mains… crapahuter à droite, à gauche, en haut, en bas, cela durant 9 mois… et la voici tout contre moi.
Mon homme l'a tout de suite reconnue, adoptée… il lui a tout de suite parlé. Mais moi je n'y arrive pas…
Lui parler ? Pour lui dire quoi ? On ne se connait pas finalement… je ne saurais pas par quoi commencer… et puis la journée, elle dort et le soir, quand tout le monde est parti et que je suis seule avec elle, elle pleure… elle pleure de 18h à minuit… non stop… on appelle ça « les coliques ». .. Et moi je pleure aussi.
Je suis fatiguée… on appelle ça « le baby-blues ».
Au moins ces 2 choses sont bien là, contrairement à « cet amour inconditionnel »...
Lors du 1er bain les auxiliaires me valorisent ! me disent qu'on ne dirait pas que c'est mon 1er bébé, que je me débrouille super bien (merci l'expérience professionnelle) et pourtant c'est juste de l'automatisme.
Le 3e jour je vis un effondrement : ma petite à perdu plus des 10% règlementaires et est déshydratée car la montée de lait tarde. Elle a le palais sec et de la fièvre. L'auxiliaire me rassure en m'expliquant qu'avec une tension à 14 ce n'est peut-être pas étonnant et qu'il faut que je me détende…
Je m'approche souvent de la fenêtre. 5ème étage. Mais j'en ai peur. Je vérifie qu'on ne peut l'ouvrir en grand car j'ai en fait peur de déraper et de la lâcher dans le vide. Je ne le veux pas. Mais j'ai peur de le faire "en dehors de moi". Je décide de ne plus m'approcher de cette fenêtre lorsque je l'ai dans les bras. La phobie d'impulsion est toujours là : j'ai finalement peur… de moi. De "mon autre" moi.
De retour à la maison, je me dis qu'étant avec mon homme, TOUT va aller mieux. Mais les jours passent et rien ne va… Les fameuses coliques continuent toujours et je n'arrive à rien. Je n'arrive toujours pas à lui parler vraiment, je n'arrive pas à dormir, je n'arrive pas à manger, je n'arrive pas à me reposer…
Et je flippe. Le regard fixe et vide. Les gestes automatiques.
Peur de ne pas réussir à établir le lien mère-enfant, peur de finir en dépression post-partum… peur qu'elle ne m'aime pas, qu'elle soit mal avec moi, ce qui doit être le cas puisqu'elle pleure surtout avec moi… Pour éviter cela, je décide de ne plus essayer de lui parler car lorsque je m'approche d'elle, elle se met à pleurer…
Un soir j'essaye péniblement de le dire au papa que "je suis contente qu'elle soit là mais…" Il ne me laisse pas terminer : "quoi? tu regrettes?!". Je lui dis : "non, non mais…." et je ne poursuis pas, je ne sais même pas ce que je veux formuler. Oh je ne lui en veux pas, qui peut comprendre … qui pourrait me comprendre ?
L'allaitement me pèse aussi. J'ai l'impression d'être squattée, vampirisée… de devoir être là quoi qu'il arrive. Je commence à abréger les tétées même quand elle n'a pas terminé… Je me pose la question d'arrêter mais je me dis que si je le fais, je serais encore plus "incapable" de m'investir…
Le médecin (alerté par ma mère, mais ça, je ne l'ai su que cet été, 3 ans plus tard donc!), me fait de la prévention et surtout me conseille de dormir quand elle dort. Je refuse ! et alors quoi?!! dans ce cas je n'ai plus du tout de vie à moi?!! ma vie se résumera à quoi si je dors quand elle dort?! je décide de le faire… une fois.
Un matin, elle sourit enfin… à son père. Ce genre de matin où n'importe quelle mère se serait empressée de noter la date de ce premier sourire, lorsque son père me dit « regarde ! » moi je me contente de dire « j'aimerais dormir ! » … et je continue ma descente aux enfers.
Cela aura duré peu de temps (6 semaines). Un jour, la relation a commencé lorsque je me suis décidée à lui parler, lui expliquer… je l'ai sentie à l'écoute, attentive… Mais au moins un an de culpabilité à regretter ces moments perdus.
Et c'est en écrivant ces lignes que je me rends compte que cette culpabilité est juste "cachée", silencieuse, mais toujours là, douloureuse.