Je ne sais pas trop par où commencer. Je ne sais même pas s'il faut commencer… Tant de choses à dire.
Les émotions et la mémoire qui se bousculent et m'interpellent sans ordre apparent. Ce n'est pas évident de faire ressortir tout ça, de le partager, de lui donner un sens et de la logique (si jamais il y en a).
C'était il y a presque trois ans, que je suis parti dans un voyage qui n'était pas le mien. C'était il y a presque trois ans que G est né. Et si je suis là aujourd'hui à vous écrire, vous savez certainement ce qui est venu après.
« Eraera » -voilà la maman – l'a à plusieurs reprises partagé avec vous. Bref : de la souffrance. Que de la souffrance. Partout. Tout le temps. Sans arrêt.
Mais, et le père qu'en est-il de lui ? Le père ? Je me souviens…
Je me souviens, des premiers jours à la maison, de maman effondrée dans le lit et de moi malade, épuisé, couché sur le canapé en tenant le bébé sur mon ventre.
Mes mains blessées de tant les laver, suivant scrupuleusement les instructions des infirmières. Il faut que bébé soit bien et qu'il n'attrape pas ma maladie.
Je me souviens de parler avec mes parents au téléphone et de leur dire « maman n'est pas en pleine forme mais ne vous inquiétez pas, ça va s'arranger».
Je me souviens … de recevoir toutes les félicitations pour l'arrivée du bébé et de dire que tout va bien « tous les deux super heureux d'être parents ».
Je me souviens d'arriver dans mon nouveau boulot et déjà de devoir demander de travailler à mi-temps, de devoir expliquer que tout ne va pas bien avec maman et que je dois obligatoirement être avec elle.
Je me souviens de m'occuper de notre fils sans cesse, de penser à tout, de tout préparer, de me réveiller à six heures du matin le week-end et de devoir passer des heures interminables avec lui. Maman n'a pas l'énergie, elle ne se sent pas capable, elle doit absolument se reposer. Je me disais : « J'aimerais bien me reposer un jour moi aussi»... mais le jour ne semblait jamais venir.
Je me souviens de devoir cacher la partie la plus importante de ma vie à la plupart de nos amis : qu'Eraera était en pleine dépression post-partum, que je devais m'occuper d'elle, que je devais m'occuper de notre bébé, que je devais aller travailler, que
Je me souviens de ne plus voyager, de ne plus être avec mes amis sans penser à devoir partir le plus vite possible, de ne plus vivre sans courir car Eraera et bébé ont besoin de moi. Moi aussi j'avais besoin de moi...
Je me souviens des pleurs de notre fils si jamais je m'éloignais quelques mètres. Parce que je l'aimais (et l'aime encore – plus que jamais d'ailleurs) je devais être tout le temps disponible pour lui, toutes les heures, tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, l'un après l'autre, après l'autre, après l'autre… Et je l'étais.
Je me souviens des pleurs d'Eraera, de sa souffrance profonde, injuste, parfois inhumaine. Parce que je l'aimais (et l'aime encore – aussi plus que jamais) je devais être tout le temps disponible pour elle, toutes les heures, tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, l'un après l'autre, après l'autre, après l'autre... Et je l'étais.
Je me souviens de devoir renoncer à presque tout (sauf à eux).
Je me souviens des mots de mon chef : « Je m'inquiète beaucoup, vous prenez soin de votre femme, mais vous, qui prend soin de vous ?». « Personne » ai-je pensé. « Moi-même » j'ai dit. Et j'ai pleuré.
Je me souviens de me coucher dans le canapé, en position fœtale et de rêver de quand j'étais petit et que je sentais la chaleur, le confort, mes parents qui me protégeaient… Je rêvais, je pleurais et je voulais devenir à nouveau ce gamin dont on s'occupe et que l'on protège. Je voulais tellement qu'on s'occupe de moi, tellement.
Je m'en souviens, oui, je m'en souviens.
Merci de m'avoir lu.
P.S. Maman, bébé (et papa) ont entre-temps repris la (bonne) route. Pas seuls... mais bien accompagnés.