Mon homme et moi nous sommes rencontrés en 2003.
De plus, nous avions à peine 20 ans.
Les années ont passé. J'ai vu des naissances autour de nous. Puis en 2009, j'ai commencé à songer à la grossesse, mais le travail, le déménagement, étaient des "obstacles" pour un enfant.
En mars 2010, lors de la visite du "contrôle technique" chez le gynéco, le sujet revient sur le tapis, et cela me surprend. Je dis à mon compagnon que je ne veux pas reprendre la pilule après cette plaquette.
Je tombe enceinte rapidement (en juillet). Entretemps, je trouve un nouveau travail. J'annonce ma grossesse dès que je l'apprends, le lendemain de la fin de la période d'essai. La RH me fait savoir que, si je l'avais su plus tôt, il n'était pas nécessaire que je revienne travailler. Au cours de mon contrat, je comprends bien les sous-entendus : "Si je veux être prolongée après mon CDD, il va falloir prendre la mesure qui s'impose". Mais là, il n'en est pas question une seule seconde.
Le contact est coupé avec mes parents depuis 2008. Je n'ai pas honte, je n'ai pas besoin de leur approbation ou bénédiction puisque j'ai refait ma vie.
Un audit est prévu. Tout le monde se soupçonne. Je ne suis pas très bavarde contrairement à la personne que je remplace et ce remplacement n'est pas bien accepté.
Epuisée par cette ambiance, par le trajet (une heure le matin et un peu plus le soir), subissant des contractions déjà depuis le troisième mois (pour moi ce n'étaient que des crampes intestinales), avec un bébé en siège qui écrase mon bassin, je suis sans arrêt bloquée et dans l'incapacité de me déplacer. Je finis par accepter l'arrêt de travail de mon médecin. Je me sens soulagée et me dis que je vais avoir une grossesse épanouie.
Tout va bien jusqu'au septième mois.
Elle qui m'avait envoyé un courrier odieux me conseillant de ne pas avoir d'enfant car ce n'est qu'une source d'ennuis et de déception commence sa comédie. Elle souhaite me revoir, alternant les appels auprès de mes frères (avec qui je suis toujours en contact) en "sanglotant", et les messages abjects et insultants quelques minutes plus tard sur mon répondeur.
Le moment de l'accouchement arrive.
Le jeudi, je saigne. Nous partons au CH, mais retour à la maison dans la journée.
Le vendredi, quatre heures du matin, j'ai trop mal. Je réveille mon homme, mais ce n'est toujours pas le moment. A 18 heures, idem. Je me transforme en une possédée et je refuse de partir cette fois-ci : bébé est en train de m'exploser les reins. Il passe son temps à se retourner, un coup de tête en haut, un coup tête en bas.
Sous perfusion pour la nuit, je dors. L'acupuncture me soulage.
Le samedi matin, la sage-femme me dit que ça travaille bien. En début d'après-midi, je peux avoir la péri, enfin !
La première finit ses 24h de garde, c'est un sage-femme qui prend le relais : excellent. Vers une heure du matin, pendant les poussées, il voit que le bébé est mal, et il a toujours le projet de naissance en tête, donc il sait qu'il doit nous tenir informés de ses initiatives.
Jusque-là, l'attente pour la péridurale et les premières poussées étaient merveilleuses (non, non, je ne suis pas masochiste). Bébé a "la tête dans les étoiles " (expression désignant la position d'un bébé engagé dans le bassin, les yeux regardant le plafond). L' obstétricien tente de le manipuler. Je vois mon bassin être secoué dans tous les sens. Puis j'entends le claquement du métal.
Ensuite il me demande de pousser fort fort. Je suis crevée, mais j'assure. Finalement il me déchire (épisiotomie interne et externe du périnée et de la vulve jusqu'à l'anus). Il mentionne seulement sur le compte-rendu "épisiotomie".
Je suis hospitalisée près d'une semaine. Les sages-femmes dans les étages ne comprennent pas que je ne puisse pas m'asseoir, même pour allaiter. Je ne pourrais m'asseoir qu'au bout de deux semaines et demi, et grâce à une bouée pour hémorroïdes et la crème de mon docteur.
Lors d'un examen gynécologique (peur d'une mycose), il m'annonce que je suis déchirée et qu'il ne s'agit pas d'une épisiotomie. Aujourd'hui j'ai encore des crises hémorroïdaires.
Mon problème c'est mon bébé : je l'ai allaité deux mois, pas de problème en public ou en famille. J'ai tiré mon lait pour souffler et laisser le papa s'occuper du bébé. Mais ensuite, je ne pouvais plus, j'avais toujours l'impression d'avoir mon fils pendu à mes seins, je ne faisais rien d'autre. Je trouvais vingt minutes dans la journée pour prendre une douche et avaler un peu de nourriture.
J'avais même hâte de le confier à la nounou pour retrouver du temps libre, hâte de me retrouver seule avec le papa. Tout le monde m'a dit "on oublie le mauvais accouchement, après ce n'est que du bonheur".
Si le centre hospitalier avait eu un dispositif "on reprend les bébés que vous ne voulez plus pour les donner ailleurs", j'aurais été tentée certaines fois. Je sais que cela n'existe pas…
J'étais responsable de mon fils : soins, hygiène, médecin, nourriture. Je le faisais, car je savais que c'était mon devoir.
Le papa s'investissait complètement. Il ne chipotait pas pour changer les couches, le laver, l'emmener chez le pédiatre… Il ne s’est jamais plaint de mon état, ne m’a jamais reproché d’être mal. Pour lui, mon état était passager. Mes paroles étaient dures sur ce que je ressentais, mais il n'était pas inquiet. Il savait et sentait au plus profond de lui que je ne ferais pas de mal au bébé.
J'avais peur, je voyais tellement de choses trash aux infos (maltraitance, infanticides…). J'avais toujours le réflexe de mettre le petit dans son lit et d'aller sur le balcon prendre l'air ou je le mettais en poussette pour aller au bord de la rivière, je me posais et j'attendais qu'il se calme.
Il me venait à l'idée que je pourrais le pousser dans l'eau, mais je n'en avais pas "besoin" ou "envie".
Pendant la grossesse, je me disais que je voulais être une meilleure mère que la mienne ne l'avait été pour moi. Je voulais aimer cet enfant pour donner l'amour que je n'avais pas reçu, et là j'en étais incapable.
Mon homme me disait que si le petit n'éprouvait rien envers moi, il ne ferait pas tels sourires en me voyant ou n'arrêterait pas ses gazouillis en m'entendant.
Après le sevrage, mon fils a commencé à vomir tous ses biberons. Il a été hospitalisé d'août à octobre 2011. Pour la première fois, lors de son hospitalisation, j'ai pu me reposer sur quelqu'un d'autre. Je rentrais chez moi tous les soirs, sans être affectée par cette séparation. Le CHU ne trouvait pas d'explications, à part une "intolérance aux protéines de lait de vache". Aujourd'hui, je suis persuadée qu'il n'y a jamais eu ce genre d'intolérances, et que le CHU a pondu ce diagnostic histoire de…
Je confie mon fils à la nounou le lendemain de sa sortie du CHU. Je dors toute la journée. Vingt heures par semaine, il est gardé. 20h par semaine. Je ne fais "rien"... Le vide total mais ça me fait du bien.
J'envoie un mail à la maternité en demandant combien de temps dure ce genre de mal être. La maternité me rappelle directement pour convenir d'un rendez-vous avec la psychologue du service.
Je vais la rencontrer trois-quatre fois. J'apprends à parler à mon fils, lui faire part de mes angoisses, mes inquiétudes, mon ras le bol. On me dit que je ne dois pas avoir honte de lui dire que je suis énervée, qu'il est agaçant par moment.
Je reprends ma vie en main : je reprends mes études, le lien avec mon fils devient fusionnel.
Il est comme moi au final : une éponge à émotions !
J'entreprends également des démarches pour la chirurgie bariatrique (obésité). Lors de ce protocole, un suivi psychologique est prescrit. Je vais rencontrer une nouvelle psychologue trois-quatre fois. Là, tout devient clair : mon enfance a provoqué toute cette situation. Je n'ai pas été aimée par mes parents, victime de violences psychologiques.
De plus, ma grossesse a été pourrie. J'ai été "seule", je n'avais pas de contact avec la famille comme on peut l'espérer avec sa mère…
Un bel effet boule de neige ! Quand j'ai accouché, ça a continué. Les mois suivants, toujours cette solitude.
Je sais qu'aujourd'hui, j'ai perdu ces moments précieux de l'accouchement, des mois qui ont suivi… Mais je sais aussi que l'histoire familiale est un facteur de souffrance, ainsi que la solitude, la fatigue, la rupture avec la vie sociale…