Il est 3 heures du matin, Louis dort depuis vingt une heure, moi pas. Je reste au-dessus de son berceau, je regarde sa poitrine se soulever, je guette le moindre bruit, le moindre râle, un infime geste de sa part et je me répète inlassablement que son reflux doit le faire souffrir, j’ai peur qu’il ait mal… Non je ne supporte pas l’idée qu’il puisse avoir mal et que je ne puisse pas le protéger. J’associe un infime gémissement à de la douleur. Je ne vois plus Louis, je vois un bébé malade, un bébé que je dois sauver. Il faut que j’anticipe, il faut que je contrôle alors je passe en revue tous les scénarios possibles: « Et s’il s’étouffait », « S’il faisait une fausse route », « Et si je le perdais »... J’allume mon portable, je parcours les forums et je regarde chaque nuit cette même vidéo en boucle… Celle des gestes de premiers secours. Je ne suis pas malade, je suis une maman et une maman s’inquiète forcément pour son enfant, non ?
Aujourd’hui je suis heureuse et enthousiaste… Je ne vais pas mieux, non, mais nous avons RDV chez la pédiatre. C’est le seul moment où je peux lâcher prise, le seul endroit où je me sens en sécurité. C’est une professionnelle de la santé, et je m’accroche à ses mots comme une enfant à son doudou. Elle l’a dit : « Louis va très bien ». Est-ce que je suis rassurée ? Oui, pour quelques minutes seulement. Elle ajoute : « Je n’ai aucune inquiétude pour Louis, c’est pour vous que je m’inquiète ». À ce moment précis je ne l’entends pas, je ne comprends pas ce qu’elle veut dire. « Est-ce que vous mangez ? » Oui, enfin, je crois, j’en sais rien en fait, ce qui m’importe c’est que Louis termine ses biberons et qu’il reprenne du poids. Un bébé en bonne santé est un bébé qui mange. « Non, Madame, un bébé en bonne santé est un bébé qui sent sa maman heureuse. » Est-ce que je suis heureuse? Je ne sais pas non plus, je pleure beaucoup, c’est vrai mais ce doit être la fatigue. En fait je n’ai pas le droit de ne pas être heureuse : je viens d’être maman, j’aime mes enfants, j’ai un mari qui me soutient, une sécurité matérielle, pourquoi suis-je aussi triste et angoissée ? Allez Audrey reprends toi, remets le masque, Agathe ton aînée va rentrer de l’école et Fabien ton mari a des journées difficiles au travail. Tu dois sourire, tu dois les protéger.
Le répit fut de courte durée. Louis tousse beaucoup, il a de la température et vient de vomir son biberon. Il a des difficultés pour respirer, il pleure beaucoup et refuse de manger. Nous y sommes, la bronchiolite… C’est comme si on m’annonçait une maladie incurable.
Je n’ai pas envie de mourir mais je rêve de m’endormir et de me réveiller dans quelques mois quand tout ira mieux. Dans quelques jours ce sera Noël et moi ce dont je rêve c’est d’un coma. « Maman, pourquoi tu es triste? Tu as peur que le père Noël ne t’apporte pas de cadeaux ? Ne t’inquiète pas, j’en ai commandé pour toi » C’est Agathe, ma fille de 3 ans qui s’inquiète pour moi. Moi aussi je me suis inquiétée enfant pour mes parents. J’ai grandi très vite, trop vite. Je voulais les sauver et je m’étais promise de ne jamais imposer ça à mes propres enfants. C’est ce qui m’a décidée à écrire à Clara et à me faire soigner. À l’issue de notre entretien, nous convenons d’une hospitalisation à temps complet à l’unité mère bébé : je ne sais pas trop ce que je ressens, à la fois un soulagement, la peur de me séparer de ma fille aînée, un sentiment d’échec et la honte d’être tombée si bas.
Esquirol comment ai-je pu en arriver là ? Esquirol est ce que cela signifie que je suis folle ?
Les vacances de Noël m’ont un peu apaisée. J’ai pu me reposer et j’ai désormais hâte de m’accorder ce temps de répit. Néanmoins, j’appréhende la séparation avec ma fille. À cet instant, j’ai le sentiment d’avoir choisi mon fils plutôt qu’elle, j’ai peur qu’elle le vive comme un abandon et en même temps je sens au fond de moi qu’en faisant cette démarche je la protège aussi.
Je dois aussi montrer à mes enfants que maman n’est pas parfaite, maman n’est pas infaillible, maman tombe parfois mais apprend à se relever. La vie, c’est aussi ça : un parcours initiatique mais que nous avons en nous toutes les ressources pour gagner le combat.
Je fais donc mon entrée à l’UMB et les premiers jours sont particulièrement difficiles. Je me suis sentie vide, je ne percevais pas encore l’intérêt thérapeutique mais en fait on m’imposait volontairement du vide et qu’est-ce que c’est déstabilisant de se retrouver face à soi-même. Depuis toute petite, j’ai mis en place un fonctionnement qui consiste à remplir : cumuler les activités, voir du monde, apprendre, mettre en place des objectifs et définir des projets… J’aime me sentir « bookée », j’aime l’emploi du temps chargé, je cours même essoufflée parce que ça me donne le sentiment d’être en vie. Ici j’avais l’impression qu’il n’y avait rien, qu’il ne se passait rien, que je n’étais plus rien.
Je regardais autour de moi et je me sentais démunie. Je n’avais plus aucun repère : mon confort matériel, tout ce que j’avais pu inscrire dans la matière pour m’auto-rassurer, ma grande maison propre et ordonnée, mes objets de valeur, mes vêtements de marque et mes meubles design, tout ce qui me servait à me faire croire que j’avais réussi et qui redonnait une pseudo estime de soi. Et cet effet miroir si déstabilisant à travers les regards : celui du personnel, pourtant bienveillant, mais que j’interprétais parfois comme étant complaisant et infantilisant, le regard des autres patientes : éteint, vide, triste, noir. Et tous ces vieux démons qui déambulent dans le parc : l’anorexie, l’alcoolisme, la dépression. Je me sentais agressée face à tout ça comme si c’était un cauchemar.
Les jours ont passé, j’ai vécu les remous de la tempête : les vents violents qui vous giflent, les accalmies qui redonnent espoir, le désarroi et la peur quand votre paysage intérieur s’effondre et puis enfin les beaux jours et la lumière de la reconstruction. En fait qu’est-ce que ça fait du bien quand le temps s’arrête ! Quand vous vous concentrez seulement sur vous et ceux que vous aimez, quand on n’attend rien de vous et que vous ne dépendez plus des autres. Qu’est-ce qu’on se sent léger dans cette bulle qu’on vous offre ! On vous autorise à flotter, à vous laisser porter. Et vous grandissez autant que votre bébé.
grâce à votre bienveillance, à votre soutien, votre patience, votre absence de jugement, je me suis sentie revivre et plus encore je me suis sentie renaître. Vous ne m’avez pas seulement guérie de la dépression post-partum, vous m’avez aidée à prendre un virage important et à faire la plus belle des rencontres : la rencontre avec celle que je suis vraiment et celle que j’ai envie d’être à partir de maintenant. Je ne veux plus porter de masque, je ne veux plus dépendre du regard des autres, je ne veux plus contrôler et je veux m’efforcer de continuer à avancer dans le respect de ce que je suis, avec patience, confiance et humilité et pour l’intérêt collectif. Vous faites chacune et chacun un beau métier, vous donnez sans compter.
Julia avec qui j’ai noué une très belle amitié : tu m’as appris à dépasser les apparences et les préjugé. Tu m’as appris le courage et l’humilité. J’ai un profond respect pour la personne que tu es.
Mon mari qui a toujours été présent à mes côtés, qui a été pris au dépourvu dans ce joli tourbillon sans cesser de me soutenir et de m’aimer.
de m’avoir portée jusqu’ici, de m’avoir donné l’envie de pousser la porte de l’UMB et le courage d’en repartir. Vous me récompensez chaque jour avec vos éclats de rire.