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L'angoisse a tout emporté



Je m’appelle Juliette, j’ai 37 ans. Je suis devenue maman pour la deuxième fois il y a 4 mois.

Un accouchement de rêve

Le 29 mai 2023, à l’arrivée de mon fils, tant d’amour, si vite.
Tant de puissance, un accouchement si intense.
Je voulais accoucher sans péridurale, bouger, ressentir, me laisser guider par mon corps, éviter les effets secondaires, être plus en forme et en lien avec mon bébé.
Je me suis bien préparée : les 3 volumes de la « naissance » de Lucile GOMEZ, le ballon est mon
meilleure ami, respiration avec et sans winner flow, podcast, piscine, sophrologie, cours de ma sage
femme, chant prénatal, massage, homéopathie … Je m’investis tout en ayant en tête que le jour J, si je suis déclenchée, j’abandonne mon projet physiologique.

Je ne revivrai pas deux fois un déclenchement par ocytocine de synthèse avec un travail sans
péridurale (comme pour mon premier enfant).

Mon sac de maternité est une vraie caverne d’Alibaba, carnet de mantra, huile de massage, fleurs de
Bach, pierres, bouillotte, huiles essentielles…
Je veille aussi à amener avec moi pleins de grigris, une lumière douce et ma musique. Même moi, cela me prête à sourire tout ce cérémonial.
Je fissure la poche des eaux la veille du terme et mon chéri m’amène à la maternité.
Ma fille, malade, est chez ses grands-parents à 300 km. Je culpabilise de la savoir si loin mais
l’incertitude de ne pas savoir à qui la confier le jour J était trop grande.
Le lendemain, à 2 heures du matin, les contractions m’empêchent de dormir mais sont encore douces. Le sage femme me donne un peu d’Atarax pour me détendre et je me rendors.
4 heures du matin, les contractions sont plus rapprochées, plus présentes.
Je demande conseil à la sage femme et j’appelle mon chéri.
A 5 heures, il arrive et moi je suis cramponnée au matelas. Je fais des exercices de respiration avec
mon winner flow que je balancerai quand elles s’intensifieront.
A 5 heures et demi, je vais en salle nature. Je gère les contractions de plus en plus fortes, je vais au
bain.
La musique d’Ayo emplie la chambre. La lumière est douce. Le petit matin arrive.
Tout est calme et serein. Je gère. Cela devient de plus en plus intense mais j’ai confiance. Je suis
forte. Je suis dans ma bulle.
Quand je commence à avoir du mal à récupérer entre les contractions, je vais dans le bain chaud.
Mon chéri me fait couler l’eau sur le dos. Comme un nuage de douceur entre deux vagues de
contractions, cela me permet de récupérer.
Puis je ressens le besoin de sortir du bain. A peine sortie et voici que je m’agrippe au lit et râle. Bébé
arrive. Alors que j’ai passé le cours de chant prénatal à me moquer de l’animatrice, le son grave de
ma voix me donne de l’énergie.
La sage femme, Marie, et l’auxiliaire de puériculture arrivent. Mon conjoint m’aide à me suspendre
et Bébé descend.

C’est intense, ça pousse, je ne saurai pas dire mieux. Les 3 personnes autour de moi m’enveloppent,
me rassurent et m’encouragent. Je me sens portée. Je sens la tête descendre puis remonter. Je me
rappelle encore la voix douce de la sage-femme « c’est extraordinaire ce que vous faîtes ».
Heureusement mon fils avec ses 4kg700 passent. La sage-femme me dira plus tard qu’elles ont eu un peu peur au passage des épaules.
Je suis debout aussi je croise son premier regard sur le sol, si profond.
Je le prends dans mes bras puis je le confie aussitôt à son papa pour la délivrance du placenta. Je
récupère mon corps à la sortie du placenta et en suis tellement soulagée. Je n’ai pas aimé être si
lourde enceinte. Ensuite la sage femme me recoud les quelques cm déchirés pendant que je plane
littéralement sous protoxyde d’azote.
A ce moment là passe « everyday good » de Patrice. La coïncidence est drôle. Le monde peut
s’effondrer autour de nous. Notre bébé est né.
Je ne me suis jamais sentie si vivante, si présente, si aimante.
C’est notre bulle.
Ensuite nous nous allongeons avec mon chéri tous les trois dans le lit rond. Un moment suspendu.
Cela aurait pu durer des jours.
C’est alors que l’on décide de l’appeler Naël, deux heures après sa naissance.

Tant de vie.

Je l’aime inconditionnellement tout de suite, m’occuper de lui est si simple, si naturel.
Son regard me comble, sa peau me réchauffe, son odeur m’est familière.
Sa naissance ne laisse la place à plus rien d’autre. Il n’y a plus que lui.
Je sors de la salle d’accouchement en marchant. A la maternité je me lèverai chaque jour pour me
maquiller, prendre ma douche, m’habiller, comme si de rien n’était.
C’est sans hésitation que je souhaite sortir précocement de la maternité à 48 heures.

Quand le retour à la maison clôt le rêve

Mais au troisième jour, sans crier gare, en passant le pas de la porte de la maison, le sol s’ouvre et
m’engloutit.
Mon angoisse enfouie depuis des mois, sournoisement tricotée au fil des évènements, surgit et me
tétanise. Elle me souffle telle une feuille morte.
Je me vois avec mon bébé, à l’entrée de notre maison vide qui me semble étrangère et que je ne sais plus comment habiter.

Mon angoisse me rattrape la nuit, ne me laisse aucun répit, aucun repos.
Elle vient me cueillir sans cesse. Je ne peux plus dormir, ce sera mon premier symptôme.

A bien y penser, cela a commencé avant la naissance avec l’attente des contractions de travail
pendant des jours.
A ce moment-là, pas de vague d’angoisse encore mais des insomnies de quelques heures au fil des
nuits.
Au retour de la maternité, quand je m’allonge pour dormir, je reste paralysée, la mâchoire serrée.
Quand trop épuisée je m’assoupis, je me sens partir dans le sommeil et revenir aussitôt comme
lorsque l’on remonte à la surface ou que l’on est réveillée en sursaut, comme si je restais sans cesse
dans cet entre-deux « au bord du sommeil».
De jour comme de nuit, impossible de fermer l’œil. Mon corps a oublié comment faire, il a perdu une fonction vitale.

Ces nuits resteront gravées en moi comme des heures de petite torture.

En 3 jours je vais très mal, je vois tout en noir. Je me vois défaillir. J’ai peur de m’effondrer, de me
perdre. Je m’effondre.
Je crois que paradoxalement, après avoir donné la vie, j’avais peur de m’éteindre, de mourir.
C’est irrationnel et pourtant si sensible, si réel. A ce moment-là, je parle de souffrance.
Je vois flou, je me sens dissociée du monde qui m’entoure, j’oublie les odeurs, les goûts deviennent
fades, mes oreille se bouchent, ma gorge se noue.
Tout est altéré. Je crois que seul le toucher reste et me réconforte, contenue comme un nouveau-né
dans les bras de mon conjoint.
Les seuls moments où je dis me sentir vivre, me sentir compétente, c’est en allaitant mon fils sur le
canapé, celui où ensuite je reste prostrée les yeux grands ouverts sur la vie de ma famille qui
continue, mais que je ne parviens qu’à observer.

Tout devient si difficile

J’appréhende à chaque instant de me retrouver seule et de me laisser envahir par mon angoisse, de
sentir mon cœur s’emballer.
Habilement, je m’organise pour ne jamais être seule. Je suis mon conjoint où qu’il se rende. Je passe
des appels pour m'occuper quand il est en courses et je vais m’allonger à coté de ma fille pendant sa sieste pour me reposer.
Quand ils montent à l’étage, moi aussi. Je me nourris de leur présence, de leur chaleur pour ne pas
continuer de sombrer.
Au quatrième jour, mes parents viennent à la maison pour ramener sa grande sœur, lui faire
rencontrer son petit frère.
Lorsqu’ils franchissent la porte, je me sens incapable de faire face. Je vois ma petite fille pleine de vie
et me demande comment je vais pouvoir continuer à m’occuper aussi d’elle. Mon nouveau quotidien me parait impossible. Je suis pétrie d’angoisse et de culpabilité. J’essaye de faire bonne figure, de me réjouir mais je suis tétanisée.
Je réponds à ma fille tel un automate, lui fait des câlins mais je me sens si loin, dissociée. Chacun autour de moi se réjouit et moi je retiens mes larmes et appréhende l’heure d’après, le jour d'après.

Je ne peux contenir mon mal et alerte mes proches, ma sage-femme, puis mon médecin, l’unité mère enfant, ma psychologue.

J’espère vivre ce que l‘on appelle un baby-blues mais je ne le crois qu’à demi. C’est différent !
Quelques jours passent puis je prends un somnifère pour dormir qui me fera planer à 3000, perdre la notion du temps, mais pas dormir.
Seul les anxiolytiques me permettront de fermer l’œil. Puis viennent les douces nuits de cotons avec
mon bébé en cododo comme hors du temps. Quand vient le soir, mon angoisse part et je suis en
symbiose avec mon bébé.

Le jour, je combats mon mal, je le refuse même et j’angoisse. Je ne pleure pas, je ne pleure plus.
Ma médecin me prescrit des antidépresseurs. Ils feront peu à peu effet mais mon état durera 3 mois en diminuant d'intensité.
La gorge nouée et les oreilles qui sifflent en permanence comme si un petit monstre noir me tapait
sur l’épaule pour le dire « N’oublies pas que je suis là. N’oublies pas ton mal ».
Je m’autorise à m’effondrer : je ne ressens plus rien, ni tristesse, ni joie, ni envie, seule l’angoisse
demeure.
Le goût et la faim m’ont quittée. « Je ne sais pas ce que j’ai, je ne suis pas là ».

Je suis arrivée au fond. Je suis en dépression post partum, et cela se manifeste par un trouble
anxieux, un état d’anxiété généralisé d'anticipation, la peur d’avoir peur.

J'accepte et je commence à me reconstruire.

Sans conviction j’essaye de sortir, de construire mon emploi du temps, de réapprendre à nager.
Semaine après semaine, la vie devient moins dure. Le mieux être passe par le mieux faire pour
retrouver un sentiment de compétence, les petites victoires du quotidien.
Heureusement, Naël est avec moi. Son contact me donne de l’oxygène. Il ne me laisse pas le choix et
cela me sauve.
Mon amour pour lui m’éveille.

La situation empire encore

A ses 7 jours, il est hospitalisé pour pyélonéphrite.
Je suis extrêmement inquiète mais tellement fatiguée que je n’arrive pas à penser. A mon arrivée
dans le service, je le vois seul dans son petit lit avec une perfusion, mes jambes se dérobent. J’alerte
l’infirmière sur mon état de santé. Demande à être hospitalisée avec mon enfant. J’ai un lit de camp
si besoin et si je ne me sens pas de rester, je peux rentrer chez moi sans mon enfant. C’est inconcevable, cela clôt la réflexion. Je rencontrerai toutefois la psychologue de l’hôpital ce qui
m’apaisera quelques heures.
Je dors dans une chambre double, avec un autre parent et nos enfants. L’ambiance est très
anxiogène. Cela me semble impossible de rester.

De façon très surprenante cela me contient, je dors avec intermittence.
Au fil du temps, mon état devient difficile à comprendre pour mon conjoint. Cela me met la pression.
Le vide m'aspire et je perds 20 kg en un mois et demi, ne tenant plus sur mes jambes.
Je suis poreuse, perméable à toutes les émotions. Je me protège. Je n’écoute plus les infos, je ne
parviens à regarder aucun film. Même la lecture me semble trop violente. Les émotions des autres
me traversent et m’envahissent.
Je me rends à la PMI toutes les semaines pour maintenir le lien. Je cherche des espaces d’échanges
avec des personnes bienveillantes pour rythmer mes semaines.
Mes parents s’occupent de moi pendant trois semaines de vacances pour que je puisse m’occuper de mes enfants. Je reprends confiance. Je respire.
Je prends plaisir à sortir dans le jardin, à observer le vert des sapins, les montagnes, à manger … le
quotidien est léger.
Mon conjoint nous rejoint. Je suis prête à retourner à la maison.

La lumière, enfin

De retour de vacances, soit 3 mois après la naissance de Naël, la crise est passée.
Le CATTP que j’avais alerté deux mois auparavant peut enfin me rencontrer. C’est tardif mais je me
sens encore trop fragile pour refuser ce rendez-vous. J’y rencontre une infirmière et une
psychomotricienne. Je suis très vite rassurée car mon fils se développe bien et ne semble pas pâtir de la situation. Je participe à des groupes de paroles avec d’autres mamans, nous donnons le bain à nos enfants. Je comprends que je suis une des rares mamans qui n’est pas en difficulté dans le lien avec son bébé. J’essaye de détricoter ce qui m’arrive, de désamorcer mon angoisse.
Je partage mon vécu de maman avec mes amies, les langues se délient, ce post partum est si intense.

Quand je vais chez la psychologue, bébé m’accompagne, elle l’accueille comme elle m’accueille. Je m'y sens bien.

Avant chaque rencontre, parce que j’ai peur du poids des mots sûr mon tout petit, je
lui explique que «c’est mon histoire pas la tienne».
Je comprends que je me suis oubliée, que cette année je ne me suis pas écoutée. J’ai repoussé mes
limites au travail, n'ai pas su dire non. Se laisser happer par la culpabilité de ne pas être une bonne
amie, une bonne maman, une bonne pro, une bonne épouse, une bonne fille, une bonne sœur…
Mon appréhension de la vie à 4, du quotidien, la remontée des angoisses de la naissance de ma
première fille en plein covid, mon empathie qui m’a amenée à m’imprégner des vécus difficiles de
mes amies, à me terroriser. Trois années qui viennent m’assener un coup droit. Puis le cancer de ma
maman qui se couple avec ma grossesse, l’inconscient qui fait des liens. La naissance d’une nouvelle
mère ou peut être la perte de la mienne ?

Je reconnecte avec mon corps à travers des exercices de sports pour rééduquer mon périnée, mes
abdos.
Je vais à la piscine et m’immerge dans cet élément, l'eau, si thérapeutique. Plonger sous l’eau est pour moi le meilleur des remèdes. Un moment de pleine conscience.
Aujourd’hui je vais beaucoup mieux, et hier je me suis surprise à penser « j’aime cette vie à quatre ».
Je suis enfin pleine de gratitude pour ma nouvelle vie.
Je suis enthousiaste et commence à me projeter.

Je sors de cette période différente et consciente qu’un point de bascule existe.




Juliette

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